LES PLAISIRS DE L’ENFANCE TRANSGRESSIVE
DANS LE PETIT CLAUS ET LE GRAND CLAUS, ANDERSEN CONTE LA REVANCHE MACHIAVELIQUE D’UN PAUVRE BOUGRE QUI FINIT PAR GAGNER L’AMOUR ET LA RICHESSE. GUILLAUME VINCENT, ARTISTE ASSOCIE AU NOUVEAU THEATRE, S’AMUSE AVEC TOUS LES RESSORTS DE LA MACHINE THEATRALE POUR EXALTER LE PLAISIR TRANSGRESSIF DE CETTE FABLE AMORALE.
« Ce mélange des registres et cette liberté ouvrent l’imaginaire. » Guillaume Vincent
Rivalité, orgueil, cupidité et meurtres en série… Drôle de conte que Le Petit Claus et le Grand Claus, qui ignore la morale et la féerie…
Guillaume Vincent : Contrairement aux Frères Grimm qui recourent au merveilleux et au fantastique, ou à Perrault qui introduit une morale dans ses récits, Andersen ne se préoccupe guère de moralité et de respectabilité mais lâche la bride à sa fantaisie. Dans son journal, il revendique d’ailleurs d’écrire autant pour les aînés que pour les enfants. Ce conte est tout à la fois bizarre, absurde, drôle, cruel, fantasque, macabre, métaphysique et boulevardier. Un détracteur d’Andersen disait que l’auteur d’une telle histoire pourrait être « un taureau frappé sur la tête » ! Ce mélange des registres et cette liberté ouvrent l’imaginaire et invitent à jouer à plein avec tous les ressorts de la machine théâtrale.
Dans son adaptation pour la télévision en 1975, Jacques Prévert donnait une vision édifiante du conte. Quelles sont les lignes directrices de la vôtre ?
G. V. : Notre version sera sans doute plus politique, plus joyeusement outrée, et ne cachera pas la violence sociale, qu’exerce par exemple la télévision en survalorisant la réussite matérielle. Elle s’ouvre par La petite fille aux allumettes, qui frappe par sa tristesse irrémédiable et son pathos. Le récit est raconté au Petit Claus par sa grand-mère et contraste avec l’histoire qui va suivre. Le Petit Claus et le Grand Claus se situe dans les classes les plus pauvres de la société et montre comment la misère sociale entraîne une escalade de la cupidité.
Quelle théâtralité cherchez-vous pour toucher l’enfance ?
G. V. : Ce conte est aussi prétexte à s’amuser avec la vieille machinerie du théâtre, à retrouver la simplicité d’un artisanat qui tranche avec la sophistication des jouets actuels, notamment les jeux vidéo. Chaque scène est traitée comme un tableau et convoque une théâtralité différente. Les marionnettes, les ombres et les personnages de papier fabriquent l’illusion à vue et introduisent une étrangeté par le rapport entre le corps et l’objet, entre la présence et l’image. L’esthétique manie aussi les codes du kitsch, avec une scénographie qui reprend un manège des années 80. La mise en scène ne doit pas craindre le plaisir enfantin, régressif, que procure la transgression des règles de savoir-vivre inculquées par la bienséance. Il faut revendiquer un théâtre de l’imagination, du rêve, qui incite à regarder à travers le miroir.
Entretien réalisé par Gwénola David
Le Petit Claus et le Grand Claus, d’après Andersen, adaptation de Pierre-François Pommier et
Guillaume Vincent, mise en scène Guillaume Vincent. Du 8 au 12 mars 2011.