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Georges Banu : « Le théâtre est attaqué, mais il ne se rend pas ! »

Georges Banu : « Le théâtre est attaqué, mais il ne se rend pas ! » - Critique sortie Théâtre

Georges Banu

Publié le 10 décembre 2008

Critique et écrivain d’origine roumaine, codirecteur de la revue Alternatives Théâtrales, membre du comité directeur du Forum, Georges Banu est également professeur d’études théâtrales à l’Université Sorbonne Nouvelle. Conscient des menaces qui pèsent actuellement sur l’art dramatique, cet observateur assidu de l’espace théâtral européen veut cependant croire à la pérennité d’un art qu’il envisage comme un refuge face à la violence économique de notre époque.

Le Forum du théâtre européen organisé par le Théâtre national de Nice traite du pouvoir et du théâtre. Selon vous, ces deux notions sont-elles indissociables ?

Georges Banu : Oui. Le théâtre se définit toujours par rapport au pouvoir en place dans une société. Le pouvoir politique, bien sûr, mais aussi le pouvoir économique. Je crois que l’on ne peut pas faire de théâtre en-dehors de la sphère du pouvoir. Sur un plan symbolique, l’art dramatique a d’ailleurs toujours eu pour vocation d’alerter les pouvoirs publics des différents problèmes se présentant dans la cité. Le théâtre est, par définition, un outil de contestation. En France, depuis un certain nombre d’années, une partie du paysage théâtral se trouve directement dépendante, par le biais des subventions, du pouvoir politique. Cette relation de dépendance économique est très ancienne : Athènes, déjà, subventionnait ses spectacles.

Quel regard portez-vous sur le désengagement de l’Etat français vis-à-vis de l’art dramatique ?

G.B. : Ce désengagement, mais aussi la propension à déléguer les responsabilités étatiques aux pouvoirs locaux, donnent l’impression que l’Etat ne souhaite plus être en relation directe avec l’espace théâtral. Ce n’est d’ailleurs pas tant la situation d’aujourd’hui qui pose problème, mais bien les perspectives qui se dessinent à plus long terme. Car, au nom d’impératifs contextuels, on prend le risque de ne pas élaborer un programme cohérent et ambitieux pour l’avenir. C’est aujourd’hui qu’il faut tirer le signal d’alarme, avant que des choses dramatiques n’interviennent. Car, si rien ne change, les restrictions budgétaires se feront de plus en plus sévères, affaiblissant dangereusement le domaine de la création.

Pensez-vous qu’un tel désengagement révèle une forme de divorce entre le théâtre et les pouvoirs publics ?   

G.B. : D’une certaine façon, oui. Car les restrictions budgétaires auxquelles le milieu théâtral doit faire face sont symptomatiques de la relation qui le lie au monde politique. Quand on veut faire des économies, les domaines auxquels on s’attaque sont ceux que l’on exclut des exigences du nécessaire. Les politiques ont ainsi de plus en plus tendance à ranger le théâtre du côté de l’inutile. Cette attitude me semble très dangereuse. Car cet « inutile-là » possède une valeur énorme pour le liant social, pour le sentiment d’appartenance à une société, et même sans doute pour l’identité d’une nation. Pour reprendre la phrase célèbre de Nietzsche sur la musique, je crois sincèrement que sans le théâtre, et plus généralement sans l’art, la vie serait une erreur. Tout pouvoir démocratique devrait se rendre compte de la nécessité de l’art, spécialement aujourd’hui, dans les moments de grands troubles, les moments d’explosion économique que nous vivons.

« Le théâtre est attaqué, mais il ne se rend pas ! »

Ne vous semble-t-il pas que, depuis quelques années, les hommes politiques favorisent certaines formes d’expression artistique au détriment de l’art dramatique ?

G.B. : Il est difficile de parler en général, mais il est vrai que certains discours laissent entendre qu’il est légitime, pour les pouvoirs publics, de prendre davantage en compte les formes d’art qui semblent rencontrer, aujourd’hui, le plus de succès. Pourtant, s’il est vrai que le pouvoir politique a bien pour vocation de défendre les disciplines populaires, il doit également s’engager en faveur de la défense du patrimoine, de même qu’il doit préparer l’avenir. Le pouvoir politique a pour mission d’être le gardien de certaines valeurs dont le sacrifice risquerait d’entraîner une perte de mémoire de notre société, une perte de références et de nourritures pour demain. Je pense que vivre sans Antigone et sans Hamlet, c’est être, d’une certaine façon, légèrement invalide. Antigone m’invite à la révolte, Hamlet au doute… L’Etat doit aider la population à acquérir ces outils-là. Il doit lui donner les moyens de s’enrichir à travers ces grandes œuvres. Pasolini a dit : « Le théâtre n’est pas un médium de masse. Nous sommes peu nombreux : mais en nous il y a Athènes. » J’appelle le pouvoir politique à ne pas oublier Athènes, même si cela suppose des efforts budgétaires, même si le théâtre ne provoque pas un impact médiatique aussi instantané que celui provoqué par d’autres disciplines artistiques ayant aujourd’hui le vent en poupe.

Etes-vous optimiste quant à l’avenir de l’art dramatique ?

G.B. : Comme l’a dit Tchekhov, je crois que l’on ne peut pas se passer du théâtre. Car il existe, dans le corps social, une théâtralité qui demande à être revisitée par le biais des œuvres dramatiques. Le théâtre suit des mouvements variés et escarpés. On est actuellement dans une période de repli, mais cette situation est loin d’être définitive. Le théâtre est attaqué, mais il ne se rend pas !

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

 

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Entretien avec Georges Banu

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