La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -180-cergy

Frédéric Martel

Frédéric Martel - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 septembre 2010

« PRENEZ UNE PART DE GATEAU, C’EST L’ANNIVERSAIRE DE SHAKESPEARE ! »

L’ouvrage Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde par le chercheur, journaliste et professeur à HEC Frédéric Martel analyse le fonctionnement des industries créatives et culturelles et la guerre pour les contenus qui fait rage. Il a aussi publié De la Culture en Amérique (2006) et livre ici quelques réflexions sur les pratiques culturelles américaines et le rôle des universités dans le modèle culturel américain.

Quelles sont les différences entre les pratiques culturelles françaises et américaines ? Comment les Américains lisent-ils ? 
 
Frédéric Martel : Selon une enquête de 2004, à 1 % près de plus ou de moins selon la pratique envisagée, les pratiques culturelles françaises et américaines sont très proches. En ce qui concerne la lecture, il est frappant de constater que sur tout le territoire américain, d’innombrables clubs de lecture existent, les gens se retrouvent pour discuter d’un livre, dans les supermarchés, les librairies, les Barnes & Noble (équivalents de la Fnac) ou Starbucks. On peut vous y accueillir en lançant : « Prenez un gâteau, c’est l’anniversaire de Shakespeare ! » La création de ces clubs a été encouragée par la femme de médias la plus puissante au monde, Oprah Winfrey, même si la séquence qu’elle consacre chaque semaine aux livres est celle dont l’audience est la plus faible parmi celle de ses talk-shows quotidiens. De Toni Morrison à William Faulkner, ses choix ont un impact considérable.
 
La lecture est-elle menacée par les nouvelles technologies ?
 
F. M. : Je ne crois pas. Et je ne crois pas que les éditeurs soient en danger, le monde de l’édition s’intègre dans la culture mondialisée. Certes, les jeunes lisent les journaux sur le net, et la relation au papier est sans doute une question de génération. Les maisons d’édition sont de plus en plus dirigées par de très grands groupes de diverses nationalités (Bertelsmann, Sony…), produisant une culture globalisée. Cependant, au sein des majors, les industries créatives ont toutes en leur sein des maisons d’édition indépendantes, produisant une culture de qualité. 
 
« Les passages entre l’université et le monde culturel réel sont permanents, dans le cinéma, mais aussi dans la musique ou l’édition. »
 
Qu’est-ce qui caractérise les universités américaines, fer de lance de la culture aux Etats-Unis ? Comment s’organise le lien entre les universités et le monde culturel ?
 
F. M. : Il y a en Amérique plus de 4000 établissements d’enseignement supérieur, dont 1400 universités, et le pays leur consacre environ 3% de son PNB quand, en Europe, l’enseignement supérieur est deux fois moins riche, en moyenne, avec environ 1,5% du PNB. Toutes restent très onéreuses pour les étudiants qui doivent s’acquitter de frais de scolarité exorbitants, entre 20000 et 40000 dollars par an. Les étudiants américains ont cependant accès à des bourses et des emplois rémunérés, ce qui explique le paradoxe des universités américaines à la fois plus chères et socialement plus diverses que leurs équivalentes européennes. Au-delà des statistiques un point indiscutable est la vitalité culturelle des campus américains qui hébergent 2300 salles professionnelles de théâtre et de musique, 700 musées d’art ou galeries professionnelles, des centaines de festivals de cinéma, de radios et labels de musique, etc. Les passages entre l’université et le monde culturel réel sont permanents, dans le cinéma, mais aussi dans la musique ou l’édition.
Par exemple, les films réalisés sur le campus d’USC (University of Southern California, école de cinéma réputée) sont innombrables et tous les examens et diplômes consistent en une présentation d’un produit culturel achevé. Lorsqu’on visite les écoles de cinéma, on est frappé par l’innovation constante et la créativité des étudiants. L’une des clés du système américain est la multiplication des passerelles entre les universités et la culture underground qui les entoure. Les universités ne sont pas seulement le lieu où la culture alternative émerge, elles font aussi, désormais, une partie de la Recherche et du Développement des industries de contenus. Mais ce qui m’a le plus frappé, au-delà de la richesse de ces universités et de leur professionnalisme, c’est la diversité et des étudiants que j’y ai rencontrés. Cette diversité ethnique et culturelle, à la fois nationale par une accès volontariste des minorités asiatiques, latinos et noires, et internationale, par une capacité exceptionnelle d’attraction des étudiants du monde entier, est sans doute l’un des éléments centraux, et souvent sous-estimé, du modèle culturel américain.  
 
Propos recueillis par Agnès Santi 


 

Le colloque a eu lieu le 5 juin 2010 au Théâtre 95, Allée du théâtre, 95 021 Cergy-Pontoise cedex 01. Tél : 01 30 38 11 99. Site : www.theatre95.fr.

A propos de l'événement



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