La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Violaine Houdart-Merot

Violaine Houdart-Merot - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 septembre 2010

ACCOMPAGNER POUR COMPRENDRE

Professeur de littérature française à l’Université de Cergy-Pontoise, Violaine Houdart-Merot défend la capacité d’actualisation d’une exégèse littéraire offrant au lecteur le moyen de sa propre élucidation.

Dans quelle mesure la littérature nécessite-t-elle l’accompagnement de l’enseignement ?
Violaine Houdart-Merot : L’école a une responsabilité évidente dans la transmission (et même l’existence) de la littérature. Sa mission est de donner accès à des œuvres importantes, surtout à celles qui ne se livrent pas d’emblée. L’enseignant est là pour jouer ce rôle de passeur et d’interprète. Il apporte des éclairages littéraires, historiques, linguistiques qui permettent de contextualiser une œuvre, de mettre en lumière ses enjeux, et d’aller au-delà d’une lecture purement référentielle. Il est là aussi pour donner la parole aux élèves ou aux étudiants, pour les inciter à confronter leurs lectures, à défendre leurs points de vue et prendre conscience qu’une œuvre peut se lire de multiples manières.
 
Pourquoi La Princesse de Clèves mérite-t-elle particulièrement cet accompagnement ?
V. H.-M. : C’est sa polysémie, sa pluralité de sens et son écriture oblique qui font toute la richesse de cette œuvre et le lecteur peut passer à côté. Ce roman ne peut être réduit au seul récit d’une histoire d’amour impossible. C’est aussi une réflexion lucide, parfois amère, une méditation de moraliste sur le désir amoureux, mais aussi une réflexion politique sur une société du paraître et sur les liens souvent pernicieux, voire mortifères, entre l’amour et le pouvoir politique. Ainsi, au début du roman, la longue présentation de la cour d’Henri II : derrière l’éloge de la « magnificence » et de la « galanterie » de ce règne, on perçoit en filigrane une critique sévère à l’égard d’un roi qui laisse sa maîtresse régner à sa place, d’une cour « où ce qui paraît n’est presque jamais la vérité », où les décisions politiques sont mêlées à des règlements de compte personnels et des intrigues amoureuses. Mais on peut encore en faire une autre lecture, car cette société finalement très cruelle présente bien des points communs avec celle de Louis XIV, comme en attestent les Lettres de la Princesse Palatine. Il y a aussi obliquité du discours amoureux. La passion entre la Princesse de Clèves et le Duc de Nemours, intense et brûlante, s’exprime silencieusement, sans paroles, à travers des signes non verbaux, des trahisons du corps, des silences ou des regards, des objets que les héros tentent d’interpréter.
 
« L’école a une responsabilité évidente dans la transmission (et même l’existence) de la littérature. »
 
Selon vous, l’accès à la littérature suppose-t-il systématiquement l’intercession critique ?
V. H.-M. : On peut découvrir des œuvres déterminantes pour soi en dehors de l’école ou de l’université. L’intercession critique n’est pas une nécessité absolue, par bonheur. Il existe bien d’autres modes d’intercession, qu’il s’agisse des interprétations théâtrales, d’une lecture talentueuse à haute voix ou d’une adaptation cinématographique. Mais les artistes ont aussi souvent recours à ces éclairages critiques pour mieux saisir l’œuvre, y compris dans ses enjeux contemporains. Actualiser une œuvre, réfléchir à la manière dont elle peut prendre sens aujourd’hui pour un public différent n’interdit pas, au contraire, de s’interroger sur le sens qu’elle avait dans son contexte de production. Il me semble que l’école devrait être là pour donner accès à des chefs-d’œuvre, pour démocratiser cet accès à la littérature, en utilisant toutes sortes de moyens, qui ne se réduisent pas à un discours critique sur l’œuvre.
 
Pourquoi choisissez-vous, en tant que professeur, d’inscrire cette œuvre à votre programme ?
V. H.-M. : D’abord pour développer chez les étudiants la capacité d’interpréter. Ensuite pour ce qu’elle nous dit du XVIIème siècle, sans pour autant qu’on la réduise à un document historique. Elle nous fait pénétrer dans un monde différent et permet d’appréhender la littérature comme instance critique ou lieu de résistance. Car le personnage de la Princesse a une attitude « extravagante », avoue sa passion à son époux contrairement à toute bienséance, refuse d’épouser l’homme qu’elle aime pour garder une forme de liberté. Enfin parce que, par la complexité de ses analyses, ce roman peut donner lieu à une lecture « actualisante » (pour reprendre une formule d’Yves Citton). On peut se l’approprier pour comprendre le présent, on peut la réécrire. Les passerelles sont nombreuses à établir avec le présent : même en France, il y a des femmes qui se battent comme les Précieuses pour avoir le droit de choisir leur mari ou d’être des « femmes savantes » ; chez nous aussi les intrigues amoureuses interfèrent dans la sphère et les décisions politiques. Et le jansénisme, dans sa radicalité, n’est pas sans lien avec certaines postures religieuses aujourd’hui. Le détour du XVIIème siècle peut être une manière de prendre conscience à distance de sa propre situation.
 
Propos recueillis par Catherine Robert

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