La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -195-THEATRE NATIONAL DE TOULOUSE – MIDI-PYRENEES

EMMANUEL DAUMAS

EMMANUEL DAUMAS - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 février 2012

LES PREMIERS NEGRES AFRICAINS

ARTISTE INVITE DU TNT, EMMANUEL DAUMAS Y MET EN SCENE LES NEGRES, DE JEAN GENET, QU’IL A CREE A COTONOU IL Y A UN AN. IL CONFIE, POUR LA PREMIERE FOIS, LES ROLES DES NEGRES A DES NOIRS AFRICAINS.

« Aller à fond dans la caricature pour retourner l’humiliation. » Emmanuel Daumas

Vous êtes artiste invité du TNT cette saison. En quoi consiste ce statut ?
Emmanuel Daumas : Depuis 1998, je travaille avec Laurent et Agathe. Comme acteur, j’ai fait une dizaine de spectacles avec eux, et, à Grenoble ou à Toulouse, ils ont coproduit tous les spectacles que j’ai créés. Cette année, j’ai joué dans Short stories, mis en scène par Agathe ; je joue dans Macbeth, et je reprends Les Nègres : depuis septembre, je suis installé à Toulouse !

Vous êtes le premier à monter ce texte avec des Noirs d’Afrique…
E. D. : Nous l’avons créé à Cotonou. Les circonstances m’ont conduit au Bénin, l’ancien Dahomey, porte de l’esclavage où Genet situe sa pièce. Le projet de départ, c’est de donner la parole aux Noirs pour un grand carnaval, où certains Noirs font les Noirs et d’autres les colons. Tous sont masqués. Dès le début, Genet précise que les acteurs se sont grimés en nègres. L’intérêt, évidemment, c’est ce maquillage noir sur des Noirs, et l’idée que des Noirs jouent des nègres. Blin avait monté la pièce avec des Noirs, mais des Noirs des îles, des Antillais. Ce n’est pas du tout le même effet avec les Béninois. Je voulais mettre en scène la pièce avec des Africains, familiers du vaudou, qui n’aient aucun rapport avec les Blancs. En soi, la pièce est déjà très compliquée, mais si on la complique encore en la faisant jouer par des Blancs, on n’y comprend plus rien… Car le propos de la pièce est le suivant : nous sommes des Noirs, nous avons été humiliés et exploités pendant quatre cents ans par vous, les Blancs, et ce soir, nous allons jouer une pièce et nous jouer des clichés pour récupérer et amplifier l’insulte.

Que se passe-t-il dans Les Nègres ?
E. D. : Dans la première partie, qui désopile le public, les Noirs sont incapables de jouer. La deuxième partie est vraiment du théâtre dans le théâtre : un méchant nègre sensuel, instinctif et sauvage, viole une Blanche, jouée par un Noir. Dans la troisième partie, a lieu son procès. Les Noirs sont déguisés en Blancs, apeurés par les moustiques et venus juger le méchant Noir. A la fin, tout se renverse. Mais la révolution se passe ailleurs : on a seulement assisté à deux heures de spectacle comme un écran de fumée, qui permet aux Noirs de régler leurs problèmes entre eux. D’ailleurs, Genet le dit : on est là pour vous enfumer (les nègres enfument littéralement la Blanche), on subtilise votre beau langage pour vous fracasser la tête ! A la fin du spectacle, les acteurs tous béninois parlent fon, la langue du Bénin. Ils parlent français avec un fort accent. On aime ou pas Genet, mais, pour une fois, c’est ultra clair : on comprend Les Nègres.

Pourquoi avez-vous choisi cette pièce ?
E. D. : Ce qui me plaît, c’est d’explorer les complexes d’infériorité et de supériorité intimes. Genet va au fond de l’humiliation intime et oblige les gens à opérer une catharsis personnelle : ce n’est plus tout à fait du théâtre, c’est presque une cérémonie. En quelque sorte, on pourrait comparer ça à la gay pride : il s’agit d’aller à fond dans la caricature pour retourner l’humiliation. On fait de la poésie en mettant du sel sur ses plaies et on montre ensuite ses plaies à l’oppresseur. Cela parle de tous les gens qui sont regardés de haut. En Afrique, l’humiliation demeure. Les comédiens le disent : quand ils jouent à l’ambassade, ils sont sans cesse humiliés. Cette humiliation est comme cristallisée dans la chair.

Quelle scénographie avez-vous choisie ?
E. D. : J’ai voulu éclaircir au maximum cette pièce hyper tarabiscotée, où, à la fois, on joue, on joue à jouer, on fait semblant de jouer, et qui est sans cesse rattrapée par le côté festif et baroque de Genet. Le décor présente exactement ce qui est marqué dans les didascalies : la cour en haut, et les Noirs en bas. J’avais envie de travailler sur l’Afrique actuelle, très urbaine, dans une esthétique qui rappelle Cotonou, l’endroit où nous avons travaillé. L’Afrique est éclairée au néon. A Cotonou, il y a trente mille mototaxis, l’air est bleuté, ça pue et ça fait un bruit pas possible, les gens ont tous dix téléphones portables. On est loin du vieux fantasme européen d’une Afrique sauvage et déserte… La scénographie, très sobre, rappelle donc cette Afrique réelle : un container, des murs de néons, et un décor où tout est déglingué…

Propos recueillis par Catherine Robert


Les Nègres, de Jean Genet ; mise en scène d’Emmanuel Daumas. Du 7 au 10 mars 2012.

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