Déambulation esthétique
Directeur de le Maison de la musique de Nanterre depuis un an, Dominique Laulanné donne sens à la programmation en créant des temps forts, rassemblant divers artistes autour d’un point d’ancrage. L’homme dans la ville, escale du mois de janvier aussi pertinente pour les artistes que pour les habitants franciliens, croise et interroge des enjeux urbains, humains et esthétiques.
Pourquoi avez-vous choisi de développer cette thématique de l’homme dans la ville à la Maison de la musique de Nanterre ?
Dominique Laulanné : J’ai souhaité que le projet artistique de la Maison de la Musique se fasse l’écho de certains grands sujets particulièrement préoccupants, dont l’urbanisme. Le lien entre l’urbanisme et l’histoire des populations, dont celle des flux migratoires, est souvent frappant. Je pense à cette photo de 1965, où au loin derrière les bidonvilles nanterriens se dessine la forme innovante du CNIT. La programmation permet d’évoquer la thématique de la ville à travers l’art, de voir comment divers regards esthétiques, diverses démarches artistiques rendent compte de l’urbain, et de l’humain dans l’urbain. Thématiser la programmation permet de répondre à un souhait que je porte, qui est de dépasser l’identité d’un théâtre comme simple lieu de consommation culturelle, de faire en sorte le théâtre raconte autre chose qu’une compilation de spectacles. C’est là tout l’enjeu d’une programmation artistique. Proposer à la population de partager ensemble une problématique, à travers l’art, voilà une pratique véritablement collective et en quelque sorte citoyenne du spectacle vivant.
« Proposer à la population de partager ensemble une problématique, à travers l’art, voilà une pratique véritablement collective et en quelque sorte citoyenne du spectacle vivant. »
Comment la ville de Nanterre s’inscrit-elle dans cette thématique de l’homme dans la ville ?
D. L. : Avec ses 100000 habitants, Nanterre est l’une des grandes villes d’Ile-de-France, située dans une zone plutôt riche (La Défense, Neuilly, Courbevoie…) mais avec 55% de logements sociaux et plus de 20% de la population en dessous du seuil de pauvreté. Les questions sociales concernent donc directement la vie quotidienne. En ce moment, Nanterre est au cœur des discussions sur les mutations de l’Ouest parisien, dans la logique du Grand Paris et d’extension de la Défense. D’après certaines sources, l’Etat préempterait 45% du territoire de la ville, en deviendrait ainsi propriétaire ou gestionnaire. Une amputation du territoire difficilement acceptable par les élus locaux. L’urbanisme est un enjeu crucial à Nanterre. Un théâtre aujourd’hui ne peut concevoir un projet sans mettre en œuvre un regard, une écoute auprès de la population et du territoire qui l’entourent. Nous voulons par exemple développer avec l’université Paris Ouest un travail appelé Le patrimoine musical des habitants, pour aller à la rencontre des pratiques musicales des populations grâce à des étudiants ethno-musicologues. Des phases de restitution, où les habitants jouent devant la communauté, sont prévues d’ici deux ou trois ans. La musique peut devenir un vecteur de lien social, aider à la compréhension des cultures.
Comment a émergé la programmation ?
D. L. : Elle s’articule autour de deux temps forts singuliers. La proposition de Georges Aperghis, en complicité avec le brillant artiste visuel Hans Op de Beeck, revisite avec l’ensemble Ictus le conte cruel du Petit Poucet. Un film d’animation met en scène un enfant dans des no man’s land urbains. Le deuxième spectacle combine City Life, pièce connue de Steve Reich, père de la musique répétitive américaine, et un film de Jérôme Bosc, montage samplé d’images de New York. Steve Reich a puisé dans les bruits de la ville pour écrire cette œuvre interprétée par l’Ensemble Orchestral Contemporain. Pour ces deux pièces, l’image facilite l’écoute et éveille la curiosité. Ensuite, le public est invité à rencontrer Cheikh Djemaï, réalisateur franco-algérien. C’est un sage qui porte un regard très sensible sur les choses, un œil d’artiste et d’anthropologue. Le film Nanterre, une mémoire en miroir explore le passé de la ville pour mieux connaître le présent. Un concert clôture en musique notre temps fort avec le trompettiste Eric Truffaz, qui a signé une trilogie Mexico, Bénarès, Paris, et qui joue ici en complicité avec Sly Johnson, spécialiste du human beat box. N’oublions pas le salon de musique, une tradition de la Maison de la musique mettant en place au fil de la saison des instants de discussion ou d’écoute autour d’œuvres ou de thématiques. L’homme dans la ville marque aussi la fin de l’exposition Observer la ville deDenis Moreau et Massimiliano Marraffa, à la Galerie Villa des Tourelles, notre partenaire avec La Forge, théâtre voisin. Chaque proposition signifiante constitue un écho aux autres, et les spectateurs sont invités à une déambulation esthétique plurielle.
Entretien réalisé par Agnès Santi