La Terrasse

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Cheikh Djemaï

Cheikh Djemaï - Critique sortie Classique / Opéra

Publié le 10 janvier 2010

Le droit à la mémoire

Nanterrien depuis cinquante ans, Cheikh Djemaï revendique le droit à la mémoire pour ses contemporains relégués dans les oubliettes de l’histoire. Dans Nanterre, une mémoire en miroir, il fait le portrait de sa ville et de ceux qui l’ont faite en l’habitant.

On présente souvent Nanterre comme une ville nouvelle, presque dépourvue d’Histoire. Pourquoi ?
Cheikh Djemaï : A Nanterre, on démolit, on rénove, comme si la ville voulait se débarrasser d’un passé mal vécu. Or il est important de montrer la richesse de son Histoire et de ce qui a fait cette ville. Une ville ouvrière, faite de strates de populations françaises, normandes, bretonnes, polonaises, puis maghrébines à partir des années 40 et 50. Les conditions de vie étaient dures dans les bidonvilles mais elles l’étaient aussi pour les Nanterriens français de souche qui vivaient dans des garnis. La ville s’est depuis enrichie, développée mais il ne faudrait pas que l’aspect vénal de ce développement fasse qu’on oublie le passé comme quelque chose de honteux.
 
Comment est né le projet de Nanterre, une mémoire en miroir ?
C. D. : Cela faisait un moment que je voulais faire ce film et pas seulement pour des raisons biographiques. En 2003, pendant l’année de l’Algérie organisée à Nanterre, ce projet est né d’une discussion avec Patrick Pochet, hélas décédé depuis, et d’une volonté commune de croiser toutes les histoires de cette ville sans se focaliser sur l’une d’elles en particulier. Il s’agissait de croiser les souvenirs de la population dite de souche et de celle venue d’ailleurs qui avait une histoire commune avec la France, celle de la guerre d’Algérie, puisque nombre d’enfants de Nanterriens sont allés combattre en Algérie. Les gens d’aujourd’hui n’imaginent pas tout ce que Nanterre a connu.
 
 « La mémoire n’est pas seulement un effet, c’est un travail qui permet d’avancer. »
 
Faire ce travail, est-ce interroger l’identité de la ville et plus généralement l’identité nationale ?
C. D. : Poser le problème de l’identité nationale en croyant que cela va être le moyen d’indiquer aux gens comment s’intégrer, c’est un leurre. Pour aider l’intégration, il faut raconter les histoires comme celle de Nanterre avec du recul et sans animosité, même si cette histoire n’est pas toujours belle. On ne peut pas s’inscrire dans une nation ou une société en perdant ce qu’on est, c’est-à-dire la mémoire. Si on nie, marginalise, humilie, les gens se sentiront toujours différents.
 
En marge comme on l’est en banlieue ?
C. D. : La banlieue est un concept de journaliste. Un pays est découpé en régions, en départements, en cantons, en villes. Nanterre est une ville. On ne dit jamais que Neuilly est une ville de banlieue. Dès qu’on veut stigmatiser ou donner un aspect spectaculaire aux choses, on parle de banlieue.
 
Comment œuvrer alors à cette mémoire de la ville et des populations ?
C. D. : En mettant en place des services culturels qui ne soit pas seulement d’animation mais travaillent sur tous ces aspects-là. En reconstruisant l’histoire. En racontant et non pas en démolissant pour oublier. La mémoire n’est pas seulement un effet, c’est un travail qui permet d’avancer, de s’inscrire dans la ville autant que dans la société, sans esprit de revanche, sans nostalgie, sans aigreur, mais en connaissant le passé.
 
Entretien réalisé par Catherine Robert


Projection de Nanterre, une mémoire en miroir et rencontre avec Cheikh Djemaï le dimanche 17 janvier 2010 à 14h30 à La Forge, 19 rue de Anciennes-Mairies à Nanterre.

A propos de l'événement



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