La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Georges Aperghis

Georges Aperghis - Critique sortie Classique / Opéra

Publié le 10 janvier 2010

Au cœur de nos solitudes urbaines

Il était une fois une forêt sombre, des enfants perdus, un ogre terrifiant et des bottes de sept lieux… Le Petit Poucet a semé de lourds petits cailloux blancs dans les mémoires, qui cognent toujours au cœur des frayeurs d’enfance. Dans Happy end, créé avec l’ensemble Ictus et le plasticien Hans Op de Beeck, le compositeur Georges Aperghis tresse un subtil entrelacs de lignes musicales et d’images qui évoque l’errance de l’être face à l’immensité des espaces urbains d’aujourd’hui.

Le Petit Poucet de Perrault véhicule un imaginaire collectif très puissant mais également des peurs intimes, qui touchent à l’inconscient. Comment cela influe-t-il sur la composition ?
Georges Aperghis : Ce conte fut celui qui m’effrayait le plus autrefois. La fable – les enfants volontairement abandonnés dans une forêt hostile par leurs parents – évoque pour moi la perte de la mémoire, l’oubli des traces, la solitude dans l’immensité impersonnelle des espaces urbains, l’angoisse de la ville moderne. Ces sentiments transparaissent dans la structure même de la composition, qui fonctionne par superposition de lignes musicales, circularités, allitérations. Elle semble suivre l’errance d’un homme égaré, à la fois enfant et adulte, qui espère trouver sa route malgré les obstacles, les dangers de la forêt sauvage, trouver un sens au cœur de l’opacité. Ou peut-être est-il perdu dans les méandres de sa pensée…
 
« Je laisse venir les sensations, les images sonores que suscite le conte, puis j’essaie de leur donner une forme consciente, concrète. »
 
Comment avez-vous choisi vos matériaux sonores ?
G. A. : Le choix de la palette instrumentale s’appuie sur ma lecture dramaturgique du Petit Poucet. Je laisse venir les sensations, les images sonores que suscite le conte, puis j’essaie de leur donner une forme consciente, concrète. Je mélange ici des sonorités menaçantes, percussives, et d’autres plus douces comme les frottements de verre. Ces mixages singuliers brouillent les repères, les tracés mélodiques habituels. Ils interagissent avec le récit, porté par des voix enregistrées, dénuées d’affects et de sentimentalité, puis modifiées par l’électronique. Tel traitement apporte des inflexions particulières, une émotion étrange, à la fois humaine et dépersonnalisée. A mesure que le dénouement approche, la tonalité se fait plus légère, presque ironique, ou dérisoire… Sans doute parce que je n’ai jamais vraiment cru au « happy end ».
 
Comment la musique résonne-t-elle avec l’univers visuel de Hans Op de Beeck ?
G. A. : Ce plasticien belge travaille sur les espaces de vie impersonnels et conçoit des installations monumentales, à échelle réelle, qui représentent des sites urbains imaginaires empreints d’une sourde désolation. Avec les plasticiens-vidéastes Bruno Hardt et Klaas Verpoest, il a ici réalisé un film d’animation qui semble livrer la vision du Petit Poucet aux prises avec son histoire, comme une caméra subjective. La musique et les images évitent les pléonasmes, mais suivent des motifs rythmiques parallèles, décalés, des mouvements de spirale, des trajectoires labyrinthiques où certaines figures musicales se retrouvent ensuite sur l’écran. Au fond, ce conte me touche toujours beaucoup aujourd’hui, parce que j’y vois aussi une métaphore du compositeur dans l’acte de création, qui cherche son chemin, inlassablement.
 
Entretien réalisé par Gwénola David


Happy End, d’après Le Petit Poucet de Perrault, musique de Georges Aperghis, images animées de Hans Op de Beeck, Bruno Hardt et Klaas Verpoest, avec l’Ensemble Ictus de Georges-Elie Octors. Le jeudi 14 janvier à 20h30.

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