La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -156-tqi

Christian Germain

Christian Germain - Critique sortie Théâtre
Crédit photo Jacqueline Loehr

Publié le 10 mars 2008

Toute honte bue

Christian Germain met en scène la dernière pièce de Marie NDiaye, Rien d’humain, combat fratricide entre deux femmes aux perversions en miroir.

Quel est cet « effet David Lynch » dont vous parlez à propos de cette pièce ?
Christian Germain : Il y a une vraie parenté entre les univers de Lynch et NDiaye, et notamment dans cette pièce, autour de la figure du double, de l’inversion, de la perversion. L’histoire commencée se retourne en effet de miroir. Les deux personnages, Bella et Djamila sont comme des jumelles inversées. Djamila signifie « la belle » en arabe : elle est donc à la fois l’étrangère et la même. Elément commun également entre ces deux univers : la présence du fantastique. Petit à petit, les choses s’obscurcissent jusqu’à ce qu’on soit perdu et c’est au spectateur, comme face à un puzzle, de retrouver la pièce manquante. Rien d’humain est la pièce la plus récente de Marie NDiaye. La grande différence avec ses textes précédents, plus profus, plus amples, où on sent encore l’influence de l’écriture romanesque, c’est qu’il est monté comme du cinéma et que l’écriture y est très concise. Les comédiens sont en tension dès le départ.
 
« Faire sortir les mots de leurs gonds pour créer des frictions et des étincelles. »
 
Que raconte la pièce ?
C. G. : Bella revient des Etats Unis avec ses trois enfants, et croit retrouver son amie à qui elle a prêté son appartement. Mais Djamila lui claque la porte au nez. Bella se confie alors à la première personne qu’elle croise, le voisin, dont elle apprend qu’il est l’amant de Djamila et que celle-ci a un enfant et ne peut donc pas être délogée. Pourquoi une amie peut-elle se conduire de manière aussi monstrueuse ? Qu’est-ce qui fait également que Bella « élevée dans l’argent et les cérémonies », lâche des lapsus orduriers, disant systématiquement « baiser » pour « aimer » par exemple, au point qu’elle semble possédée par un sort qui fait que régulièrement il y a comme du vomi sur le plateau ? On apprend que Djamila, sœur de lait de Bella, a servi d’esclave sexuelle à toute la famille et est toujours la maîtresse du père. Djamila veut donc faire honte à Bella et lui faire subir ce qu’elle-même a subi : c’est cette douleur ancienne qui provoque la monstruosité. Nietzsche, à la question « que considères-tu comme ce qu’il y a de plus humain ? », répond « épargner la honte à quelqu’un ». C’est intéressant de mettre cette idée en parallèle avec le titre de cette pièce.
 
Comment jouer la langue de Marie NDiaye ?
C. G. : Son style est tellement travaillé, tellement ciselé qu’il faut faire sortir les mots de leurs gonds pour créer des frictions et des étincelles qui rendent le style vivant. Le sens se dilate quand on comprend où respirer. Il s’agit là d’un théâtre à la fois réaliste et décalé. Si on chante le texte, si on se laisse aller au lyrisme, ça n’a pas d’intérêt et on passe à côté de l’essentiel : il faut demeurer ancré dans la chair.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


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