La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Marie NDiaye

Marie NDiaye - Critique sortie Théâtre
Crédit photo Catherine Hélie/Gallimard

Publié le 10 mars 2008

La profonde étrangeté du réel

Marie NDiaye est née en 1967, d’un père d’origine sénégalaise et d’une mère française. Venue au théâtre en 1999 avec Hilda, elle fait partie du nombre très restreint de dramaturges ayant vu, de leur vivant, l’une de leurs œuvres inscrite au répertoire de La Comédie Française. En 2004, sa pièce Papa doit manger a en effet été présentée à la Salle Richelieu dans une mise en scène d’André Engel.

Quel est le parcours qui vous a mené à l’écriture ?
Marie NDiaye : Je suis venue à l’écriture par la lecture, essentiellement. J’ai éprouvé, très jeune, le besoin d’essayer de faire à mon tour ce qui me procurait tant de plaisir : des livres. J’ai écrit de nombreux romans entre huit et quinze ans. J’ai senti, un jour, que le dernier était montrable (je n’avais jamais rien fait lire à quiconque auparavant), et je l’ai envoyé aux Editions de Minuit, qui l’ont publié. Cela a commencé ainsi.
 
Comment pourriez-vous caractériser votre univers littéraire ?
M. ND. : Je crois que mon écriture est peut-être une tentative de faire comprendre, de faire voir la profonde étrangeté du réel.
 
Qu’est-ce qui vous a incité, un jour, à écrire pour le théâtre ?
M. ND. : Je suis venue au théâtre par la radio (ma première pièce, Hilda, est une pièce que j’ai, au départ, écrite pour France Culture). J’ai eu l’impression alors de pouvoir dire les mêmes choses que dans la prose romanesque, mais de manière plus directe.
 
Existe-t-il, selon vous, une ligne de partage entre l’écriture théâtrale et l’écriture romanesque ?
M. ND. : Non, pas vraiment. Pour moi, c’est la même démarche, le même geste littéraire. Ce qui change, c’est la technique employée, et la forme, le style d’écriture. Mais je conçois une pièce comme un roman. J’en dessine le plan de la même façon et je rêve pareillement, très longtemps, autour des personnages avant de me mettre à écrire.
                                                                                                                 
Vous avez déclaré vouloir aller, dans vos histoires, « jusqu’à la limite du supportable ». Quelle est cette limite et pourquoi cette volonté ?
M. ND. : La limite est simplement qu’il est nécessaire que le lecteur poursuive sa lecture, quitte à s’interrompre pour respirer. Il ne s’agit donc pas d’aller au-delà de ses forces ! C’est une expérience intéressante. En tant que lectrice, j’aime être poussée dans mes retranchements et me trouver dans une position d’inconfort.
 
« En tant que lectrice, j’aime être poussée dans mes retranchements et me trouver dans une position d’inconfort. »
 
Quelle est cette forme d’étrangeté à laquelle vos textes et vos personnages donnent naissance ?
M. ND. : Elle est volontaire et travaillée. Mais seulement dans une certaine mesure, je pense. Car elle vient aussi de qui je suis profondément et inconsciemment. Je suis sûre qu’une part de cette étrangeté éprouvée par le lecteur m’échappe. J’essaye précisément de faire basculer une situation banale, voire triviale, en tout cas extrêmement réelle, dans une autre, plus énigmatique, inquiétante. Le mystère, éventuellement le malaise, paraîtront d’autant plus grands que la situation initiale ne semblait pas contenir ce ferment.
 
Selon vous, quel est le motif commun aux trois pièces présentées au Théâtre des Quartiers d’Ivry ?
M. ND. : Je n’en vois qu’un : la dévoration. Je suis fascinée par les vampires. Par l’idée que les êtres forts et puissants se nourrissent en quelque sorte de la chair des autres. Le vampire suce le sang de l’être aimé, et l’être qu’il a aspiré devient lui-même vampire. Contre son gré, ce qui le rend malheureux en principe. C’est pour cela que les vampires sont des êtres tristes, parce qu’ils sont prisonniers de cette loi.
 

Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat


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