La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Ermen, titre provisoire

<p>Ermen, titre provisoire</p> - Critique sortie Théâtre
Légende photo (crédit Tato Olivas) : Miguel Angel Berna, Ursula Lopez et Rafael Campall écrivent ensemble le flamenco et la jota.

Publié le 10 mai 2007

Ermen : celui qu?on méprise, qu?on bastonne et qu?on déporte. Croisant sa
mémoire familiale et celle, tue ou tuée de ses ancêtres, Pascal Tokatlian dresse
le théâtre en rempart au déni.

Deux sources pour ce texte à deux voix : d’une part les écrits d’Aram
Andonian, auteur de la première présentation systématique de témoignages et de
documents sur le génocide arménien, d’autre part les souvenirs personnels de
Pascal Tokatlian, essayant de retrouver entre les bribes des discours de sa
parentèle les traces du crime originel. La force de cette rencontre tient
justement au fait qu’elle ne se fait pas directement, comme si les réfugiés
avaient intériorisé le scandaleux assassinat de la mémoire. Les anciens disent
qu’ils ont été chassés de chez eux, le père chante un air qui vient d’infiniment
loin, les récits sont contradictoires ou lacunaires et le mystère demeure autour
des trésors et des blessures héritées. D’une voix gouailleuse et avec l’énergie
virevoltante d’une recherche effrénée, Pascal Tokatlian raconte une enfance
française à la fin des années 60 qui pourrait presque ressembler à d’autres si
les textes d’Andonian, que le comédien interprète avec une sobre économie en
rupture avec l’évocation burlesque et attendrie de ses premières années, ne
venaient pas rappeler les fantômes massacrés d’une généalogie sacrifiée.

L’art sortant la souffrance de l’abîme

Sur fond de panneaux mobiles où l’écriture témoigne de façon difficilement
lisible, comme si là aussi ne pouvait voir que celui qui accepte de
soigneusement regarder, le comédien passe de l’une à l’autre des deux strates
biographiques, sans immédiatement faire le lien entre elles, signe, à
l’évidence, de la difficulté d’assumer cet « héritage nu » et de la
contrainte de vivre « entre l’oubli et le réveil » qu’évoque Aharon
Appelfeld à propos des rescapés de la Shoah. Et c’est alors que la musique,
magistralement interprétée au kamantcha par Gaguik Mouradian, apparaît comme
mémorial et lieu de la réconciliation entre la génération des rescapés et celle
de leurs enfants. Le chant de la vièle à pique semble l’incarnation même de la
nostalgie, qui porte le retour et la douleur en son étymologie, à la fois retour
de la douleur et douleur du retour. Entre les deux rives du souvenir, l’art
jette un pont et transcende l’horreur en permettant son expression sublimée.
Pour cette même raison, Pascal Tokatlian, en choisissant le théâtre pour dire
l’Histoire, prouve que les muses sont bel et bien filles de Mnémosyne.

Catherine Robert

Ermen, titre provisoire ; écrit et joué par Pascal Tokatlian. Du 25 avril
au 23 mai 2007. Du mardi au samedi à 20h30 ; le dimanche à 16h ; séance scolaire
le 3 mai à 15h ; relâche dimanche 20 mai. Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie,
route du Champ-de-Man?uvre, 75012 Paris. Réservations au 01 43 74 99 61.

A propos de l'événement


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