Les Gens
Le metteur en scène Alain Françon poursuit [...]
Sous la direction de la metteure en scène Catherine Hiegel, Antony Cochin, Judith Magre et Catherine Salviat interprètent trois Dramuscules de Thomas Bernhard. Une charge explosive contre la haine et la bêtise ordinaires qui se transforme en pétard mouillé.
N’en doutons pas, l’intention était bonne. S’emparer, aujourd’hui, du théâtre de Thomas Bernhard – à l’heure des peaux de bananes agitées en direction de Christiane Taubira, des discours antisémites d’un activiste politique déguisé en humoriste, des déclarations homophobes propagées lors des manifestations contre le mariage pour tous… – est un acte non seulement artistique mais citoyen. Dans les trois Dramuscules que Catherine Hiegel met en scène au Poche-Montparnasse (publiées en 1991 par L’Arche Editeur, ces trois petites pièces font partie d’un recueil qui, au total, en comporte sept), le dramaturge autrichien (1931-1989) dénonce – projet central de toute son œuvre – le racisme ordinaire, la bassesse des instincts humains, la haine de l’autre sous toutes ses formes. Ainsi dans Un Mort, deux femmes sortant d’une église dévoilent leur engagement pour l’idéologie nazie. Situation similaire dans Le Mois de Marie, où deux voisines devisant au sortir de la messe en viennent à cracher leur bave calomnieuse, leur hargne meurtrière. Enfin, pour clore la représentation, Match est l’occasion d’une nouvelle mise en perspective de la xénophobie au quotidien.
Un théâtre politique cantonné au divertissement
Si ces Dramuscules ne sont pas traversés par les fulgurances des grandes pièces de Thomas Bernhard, ils font néanmoins preuve d’une force dont ne rend que rarement compte le spectacle interprété par Antony Cochin, Judith Magre et Catherine Salviat. La faute, sans doute, à la direction d’acteur de Catherine Hiegel, qui manque de tension, de tranchant, de rigueur. Le cadre esthétique – des plus dépouillés – se laisse envahir par une tonalité d’ensemble désinvolte, comme relâchée, par des effets de jeu venant dévier le tir tendu des trois pièces. L’esprit corrosif de Thomas Bernhard se dilue ainsi dans les commodités d’un théâtre de divertissement. Que penser, par exemple, de l’insertion d’un jeu-concours (avec gain de places à la clef) durant lequel les spectateurs sont invités à deviner les auteurs de propos racistes pris dans l’histoire de ces trois derniers siècles ? Une atmosphère badine gagne les rangs du public. Quelques instants auparavant, l’un des personnages du Mois de Marie vociférait, à propos d’étrangers : « une racaille comme ça, faudrait les gazer, tous les gazer ». Le retentissement de ce moment d’effroi (l’un des seuls de la représentation) est aussitôt annihilé par les airs de kermesse du quizz qui lui succède. Ces airs nous sauvent, définitivement, de toute possibilité de malaise.
Manuel Piolat Soleymat
Le metteur en scène Alain Françon poursuit [...]