La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Des putains meurtrières d’après Roberto Bolaño, mise en scène Julie Recoing

Des putains meurtrières d’après Roberto Bolaño, mise en scène Julie Recoing - Critique sortie Théâtre Paris Les Plateaux Sauvages
Des putains meurtrières © Pauline Le Goff

d’après Roberto Bolaño, mes Julie Recoing

Publié le 3 octobre 2021 - N° 292

Julie Recoing adapte Roberto Bolaño, l’une des figures les plus importantes de la littérature hispano-américaine. Un récit au souffle épique porté par une comédienne divine, sur le fil.  

Une femme regarde un match de foot à la télé. En découvrant une bande de supporters, elle décide de retrouver l’un d’eux à la sortie du stade pour le ramener chez elle. Ils ne se connaissent pas. Une fois l’homme pieds et poings liés dans sa chambre, elle lui explique son point de vue sur le monde. Ce long poème est extrait des Putains meurtrières (2001), recueil de nouvelles plus ou moins autobiographiques traduisant la tristesse d’un exilé en quête d’un impossible enracinement. Chilien (1953-2002), incarcéré sous le régime Pinochet, réfugié au Mexique, celui-ci a fondé l’infraréalisme, groupe littéraire d’avant-garde, héritier de Dada et de la Beat Generation. Parmi ces nouvelles – autant de variations sur le désespoir, la folie, la littérature, la beauté qui disparaît, l’amour, la mort, le destin obscur des êtres – celle-ci évoque précisément le mythe du bouc émissaire. Il n’y est donc pas question d’amour tarifé, ni même d’un simple fait divers. Bien que fanatique, Max est choisi au hasard pour endosser la culpabilité du monde. La bête innocente est sacrifiée pour laver la faute originelle, celle de l’homme blanc qui opprime les peuples depuis la nuit des temps, celui qui soumet l’Autre : la femme, le noir, l’homosexuel… La Femme commet alors un crime pour libérer les Hommes. Solitaire et déterminée, cette « princesse inclémente » des temps modernes enlève l’élu sur sa moto pour l’emmener dans un château imaginaire peuplé de fantômes au regard sévère et inquisiteur. Sans cri, ni sang, la relation sexuelle qui s’ensuit tourne à la torture, mais ce dialogue intime avec Max est empreint d’une certaine tendresse pour les Hommes.

Rêverie morbide

Dans ce monologue, Julie Recoing puise une grande intensité dramatique. Debout, au micro, soutenue par une musique originale et expressive, la comédienne s’empare du récit pour le restituer avec justesse. Elle révèle les pulsions de cette héroïne, tout en délicatesse, même dans les passages les plus crus. L’adresse est violente, précise, directe mais, sans force, elle impose son point de vue, sans jamais apparaître comme une sorcière, une folle ou une féministe. Sur le fil, entre ignoble et beauté, elle est simplement divine. Ce rite expiatoire n’insiste-t-il pas sur la compassion ? Un conte qui n’a rien de merveilleux, une rêverie morbide qui use de références religieuses… Bolaño brouille sans cesse les frontières, mêle ironie et fantastique, textes de fiction, personnages réels et cauchemars. Très sobre, la mise en scène le traduit dans des tonalités en noir et blanc, par une brume tantôt délétère, tantôt purificatrice. Dans sa chambre, entre un autel – sorte de vanité latino-américaine – et deux écrans, la Femme raconte. Sont projetés des tableaux représentant des nobles occidentaux réalisés par deux femmes peintres de la Renaissance italienne, et des images de Max de dos, ligoté, qui finit par s’écrouler. Lentement. Par-delà les époques, les styles s’enchevêtrent, entre galerie classique et performance contemporaine, comme ces amants d’un soir tragique ou fantasmé, réunis dans ce « tunnel temporel » aux contours flous. Derrière le fracas et le silence, on perçoit la mélancolique énergie de Bolaño, sa pesante solitude. Une belle porte d’entrée dans son univers, lui qui a saisi à bras le corps la littérature et l’histoire de sa génération sacrifiée. Une bombe à retardement que Julie Recoing dégoupille avec talent.

 

Sarah Meneghello

A propos de l'événement

Des putains meurtrières
du vendredi 1 octobre 2021 au jeudi 14 octobre 2021
Les Plateaux Sauvages
5 rue des Plâtrières, 75020 Paris.

du lundi au vendredi à 20h, samedi à 17h.Tel. : 01  83 75 55 70. Site : https://lesplateauxsauvages.fr/julie-recoing-21/.Durée : 1 heure.

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