Derrière tes paupières de Pierre-Yves Chapalain
A travers l’histoire d’une quadragénaire au [...]
A l’Espace Cardin, Christopher Nell et Julie Shanahan s’emparent de I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating, spectacle créé par Robert Wilson et Lucinda Childs en 1977. Quand un éclat de mémoire théâtrale vient éblouir notre présent.
« L’acteur est un poète qui écrit sur le sable », disait Antoine Vitez. En faisant renaître I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating, Robert Wilson semble avoir réussi à déjouer l’action des vagues. Il nous ouvre les portes d’une machine à remonter le temps pour nous permettre de découvrir le spectacle qu’il a écrit, mis en scène et interprété, aux côtés de Lucinda Childs, en 1977. Cette escapade est bien sûr une illusion. L’artiste américain, quoique fidèle à l’œuvre qu’il a créée il y a 44 ans, cherche aujourd’hui à la réinventer plutôt qu’à reproduire exactement ce qu’elle fut par le passé. Sur le plateau de l’Espace Cardin, Christopher Nell et Julie Shanahan remplacent Robert Wilson et Lucinda Childs. Ce qu’ils font est magistral. Lui, en noir, entame la représentation. Elle, en blanc, endosse la seconde partie du spectacle. Dans l’esthétique époustouflante qui a fait le succès du metteur en scène, les deux virtuoses se lancent tour à tour dans un même monologue composé de dires mystérieux. L’un et l’autre font résonner cet ensemble de proclamations disparates à travers des cadences, des inflexions et des modes distincts.
Deux anti-personnages
Cette proposition, belle et énigmatique, dynamite les codes de la narration et la notion même de rôle. Ici, aucune psychologie, aucune trame fictionnelle, aucune logique figurative ne sous-tend l’existence des deux anti-personnages qui conquièrent le plateau. A la manière des peintres expressionnistes abstraits, ou des écrivains du Nouveau Roman, Robert Wilson s’affranchit des règles du récit pour donner naissance à un monde ample et libre. Un monde qui s’impose à nous sans passer par le sens, qui nous élève dans les sphères intrépides des associations libres. Seuls points d’appui réalistes de la représentation : une banquette en métal, un téléphone vintage, une coupe à champagne, des vidéos d’animaux. Tout le reste n’est que mouvements secrets, que fulgurances impénétrables. « Un homme mourant pourrait-il vous aider ? » « Puis-je vous tenir la main, étranger ? » Comme venues de nulle part, ces phrases nous transpercent. Elles nous font chanceler. On se demande pourquoi. Comme on se demande d’où surgit une sorte de mélancolie rieuse, de désespoir en creux que rien, jamais, ne vient signifier. On se met alors à penser à Beckett. A Clov, l’un des personnages de Fin de partie, qui pouffe à l’idée de pouvoir être en train de signifier quelque chose. Et l’on repart sur les traces d’une femme en blanc et d’un homme en noir. De leurs chimères et de leur solitude. Du couple qu’ils forment bien malgré eux.
Manuel Piolat Soleymat
Du lundi au samedi à 20h, les dimanches et le samedi 23 octobre à 15h, relâche les 23 et 30 septembre, ainsi que le 6 octobre. Spectacle en anglais, surtitré en français. Tél. : 01 42 74 22 77 ou 01 53 45 17 17. www.theatredelaville-paris.com. www.festival-automne.com
A travers l’histoire d’une quadragénaire au [...]