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Le Bharata Nâtyam, une danse féminine ? [...]
Danse - Entretien José Montalvo
José Montalvo crée Don Quichotte du Trocadéro : un hommage à la danse, mais aussi une pièce-manifeste qui voit un chorégraphe se retourner sur l’ensemble de son parcours, pour questionner l’art d’aujourd’hui.
Pourquoi Don Quichotte ?
José Montalvo : Pour rendre hommage – un hommage libre, poétique et décalé ! – à l’œuvre de Cervantès, qui fait partie de la culture populaire espagnole et de mon roman familial… Et qui nous permet de réfléchir différemment, sur la danse et sur le monde. Mon travail a toujours porté sur le métissage, or « métisser, c’est cervantiser », pour reprendre les termes de Carlos Fuentes. Un autre écrivain que j’admire, Milan Kundera, invite à « comprendre, avec Cervantès, le monde comme ambiguïté » : Cervantès nous dit qu’il n’y a pas de vérité absolue, mais mille vérités relatives, qui se contredisent. En une époque marquée par l’Inquisition, il nous donne une leçon de tolérance. Comment mettre en œuvre cette « sagesse de l’incertitude » en danse ? Peut-être en acceptant la différence au sein même d’un corps de ballet, en s’intéressant à des constructions corporelles très éloignées, et en cherchant aussi à créer des moments d’homogénéité, par-delà ce qui nous distingue. Or il est toujours difficile d’accueillir la diversité, notamment en une époque comme la nôtre, qui a vu de nombreux chorégraphes créer des danses extrêmement sobres et épurées. C’est une démarche nécessaire, ce qui ne doit pas nous empêcher d’être attentif au risque d’appauvrissement que nous courons si, à vouloir ne garder que l’essentiel, nous réduisons la palette des corps, des mouvements, des imaginaires. C’est aussi la raison pour laquelle je suis heureux de travailler sur ce projet avec Patrice Thibaud, un virtuose de l’art burlesque, avec lequel je peux jouer à confronter la plus grande expressivité à la plus grande abstraction… Nous avons également eu la chance de pouvoir faire intervenir Carlo Bozo, avec lequel l’ensemble des quatorze interprètes a exploré la gestuelle de la commedia dell’arte, que chacun s’est appropriée à sa façon.
Don Quichotte, c’est aussi un ballet de Minkus et Petipa…
J. M. : De même que Cervantès jouait sur l’héritage des romans de chevalerie, c’est une joie pour moi de citer, revisiter, réécrire ce ballet – qui lui-même s’inspirait des danses populaires espagnoles… La danseuse étoile Carole Arbo a accepté de venir transmettre aux interprètes plusieurs passages du ballet. C’est un merveilleux tremplin pour l’imagination ! C’est aussi l’occasion de rendre un hommage à la danse, y compris dans ce qu’elle a « d’inactuel », et d’explorer quelque chose que l’on a eu tendance – pour des raisons justifiées, là encore – à mettre de côté ces dernières décennies, à savoir la virtuosité physique. Or il y a beaucoup à explorer dans la façon dont la prouesse d’un danseur nous émeut…
Qu’est-ce qu’une prouesse, en danse ?
J. M. : Il y a une prouesse du « presque rien » : dans l’art burlesque par exemple, un geste minuscule, mais infiniment précis et pensé, peut être virtuose. Mais je pense aussi aux prouesses spectaculaires, que l’on aurait tort de réduire à une mécanique : quand un danseur se concentre pour se lancer dans un triple tour ou un triple saut, il met en jeu tout son être ! C’est cet engagement total, cette sortie de soi, qui m’intéresse. A ce stade de mon existence, avec tout un parcours derrière moi, Don Quichotte me renvoie à la force du désir. Don Quichotte confronte son imagination au réel ; le résultat est toujours burlesque, parfois tragique. Alors je me dis : « Si tu dois te planter, c’est vraiment avec cette pièce-là qu’il faut le faire ! » Cette création est un défi. Le risque fait partie de l’aventure…
Propos recueillis par Marie Chavanieux
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