La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Broken de Véro Dahuron et Guy Delamotte

Broken de Véro Dahuron et Guy Delamotte - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Reine Blanche
Véro Dahuron dans Broken : impériale ! Crédit : Tristan Jeanne-Valès

Théâtre de la Reine Blanche / conçu par Véro Dahuron et Guy Delamotte

Publié le 23 janvier 2020 - N° 284

Véro Dahuron, Antek Klemm, Fabrice Fontal, Jean-Noël Françoise et Laurent Rojol interprètent ensemble, avec une harmonie bouleversante, la perte, le manque, la douleur, la résistance et la vie. Un spectacle exceptionnel !

Il est deux choses que les infirmes, les mutilés, les estropiés, les amputés, les invalides apprennent très vite quand le sort leur ôte la tranquillité insouciante de ceux qui vivent sans avoir mal : les autres ne peuvent pas comprendre l’intime de la souffrance et il est vain de prendre le risque de les lasser par des plaintes… Il faut que le manquant prouve – par le silence que certains appellent courage – que tout va bien et qu’il résiste. Il faut vivre avec, c’est-à-dire qu’il faut vivre sans. Le pari que fait Véro Dahuron, en composant un spectacle-performance autour de l’accident qui lui a fait perdre un œil, un jeudi 13, sur la scène du théâtre de Troyes, relève donc d’une impitoyable gageure : comment dire, en effet, l’effroi de la gueule cassée que les adultes font semblant de ne pas voir et que seuls les enfants ont le courage de remarquer ? Comment inventer un protocole compassionnel qui ne se contente pas de forcer la pitié ? La seule solution – et Véro Dahuron l’a comprise et la réalise – est de se jeter vers l’autre, en faisant le pari de bras accueillants.

L’indicible rendu au visible

Les spectateurs sont installés autour de la scène. La comédienne leur parle. Sans fard et sans détour. Sans rien cacher, sans rien atténuer mais sans rien réclamer non plus. Elle fait œuvre avec son corps – que pourrait-elle faire d’autre, puisqu’elle est comédienne ? – et raconte. Elle convoque d’autres borgnes célèbres, elle invite Frida Kahlo et ses chairs en miettes, Claude Monet et ses yeux perdus dans le flou, Borges et son ultime perception du jaune, Grand Corps Malade. Elle semble piocher au hasard dans tout ce que l’art offre pour dire la lumière surgie de la faille. Mais surtout, elle s’entoure de quatre artistes dont la présence amicale est à ce point palpable qu’elle en est bouleversante. La voix et le regard de Jean-Noël Françoise, la caresse des percussions de Fabrice Fontal, les images de Laurent Rojol, qui poétisent le texte, et la présence d’Antek Klemm, qui offre sa souplesse et sa pudeur  à sa compagne de jeu, enveloppent Véro Dahuron d’un amour éblouissant, qui irradie autour d’elle comme un halo protecteur et doux. L’humour, l’émotion, la sincérité, l’audace sidérante de cette femme, qui expose sans ambages le manque comme condition du désir, sont portés par cette tendresse protectrice qui finit par atteindre les spectateurs eux-mêmes. Véro Dahuron et Guy Delamotte ont conçu un spectacle d’une extraordinaire acuité, d’une magnifique intelligence, d’une délicatesse éblouissante qui dit à tous ce qui fait défaut à certains : la générosité ne consiste pas à fermer les yeux sur l’autre mais à savoir le regarder.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Broken
du jeudi 23 janvier 2020 au dimanche 2 février 2020
Théâtre de la Reine Blanche
2bis, passage Ruelle, 75018 Paris.
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