La Terrasse

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Théâtre - Gros Plan

Bérénice/fragments d’après Racine par Laurence Février

Bérénice/fragments d’après Racine par Laurence Février - Critique sortie Théâtre Paris. Théâtre de l'Epée de bois
Laurence Février, femme de théâtre. © Margot Simonney

Epée de bois / d’après Racine / mes Laurence Février

Publié le 19 décembre 2018 - N° 272

Laurence Février met en scène Bérénice à sa manière. Celle d’une femme au parcours théâtral exigeant, passionné et éclairant. Trois comédiennes interprètent ici les rôles principaux.

Sa passion pour Racine est ancienne. A neuf ans et demi, elle lit pour la première fois Britannicus. Aussitôt, des frissons la parcourent. L’enfant va alors trouver son père, lui demande pourquoi elle a froid partout. « C’est l’émotion », s’entend-elle répondre. Depuis, Laurence Février a travaillé Racine, au Conservatoire d’abord, puis, avec Michel Hermon qui lui confie le rôle d’Aricie dans Phèdre, et Antoine Vitez qui lui offre Andromaque. De ces années 70, elle dit qu’il y avait un rapport à Racine plus violent qu’aujourd’hui : « On était dans une relecture des classiques très forte alors que maintenant, on est plus… conformistes ». Mais que faire quand on a joué très tôt les plus grands rôles ? Quand on est courtisé par des metteurs en scène qui sont à 90 % des hommes ? « Où puis-je dire ‘je’ ? Quand vais-je dire ‘je désire’ ? Quand vais-je dire ‘je choisis’ ? » C’est ainsi que Laurence Février fonde sa propre compagnie dans les années 1980. Une compagnie qui travaille sur des projets liés à la politique au sens large : « Je regarde la cité et j’en fais du théâtre ». Ses spectacles récents en témoignent : Je suis Voltaire est une réponse aux attentats de Charlie Hebdo, Tabou dénonce la loi du silence dans les affaires de viol… Les entretiens sont souvent au cœur de ses projets sous la forme qu’elle a longtemps privilégié : le théâtre-documentaire. « Me Too » avant l’heure, la metteuse en scène place également la femme au centre de son travail : « S’il n’y a pas d’ambassade dans un pays, ce pays n’existe pas. Si nous, les femmes, nous ne sommes pas représentées, nous n’existons pas sur le plateau ».

Le kabuki comme déclencheur

Sa nouvelle création, Bérénice/fragments, est une sorte de synthèse de tout cela : « Je n’avais pas envie de monter Bérénice de façon classique. Tout cela a été très bien fait par d’autres ». Le déclencheur est venu d’une exposition Yves Saint Laurent où étaient montrés des kimonos que le créateur avait rapportés d’Asie. Elle y découvre, fascinée, que le théâtre kabuki fut fondé par une femme et joué à l’origine uniquement par des femmes. Cela résonne avec une de ses intuitions: « On a dit de Racine qu’il y avait ‘une femme en lui’. De fait, dans ses pièces, les rapports entre les personnages ne sont pas fondés sur leur sexualité mais sur les rapports d’aliénation que génère la passion : Athalie est plus monstrueuse que tous les hommes de pouvoir, Hermione aussi cruelle que tous les hommes de passion ». Laurence Février décide alors de confier les trois rôles principaux (Antiochus, Titus, Bérénice) à des femmes, convaincue qu’évacuer l’idée de désir permet de mettre en évidence la vision au scalpel qu’a Racine de la passion. Hasard ou air du temps ? Une autre metteuse en scène, Isabelle Lafon, monte en ce moment elle aussi Bérénice avec une distribution atypique : 4 femmes et 1 homme.

Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Bérénice/fragments d’après Racine mes Laurence Février
du lundi 14 janvier 2019 au mercredi 27 février 2019
Théâtre de l'Epée de bois
La Cartoucherie, Route du champ de manœuvre, 75012 Paris

Les mardis, mercredis et jeudis à 20h30. Tél. : 01 48 08 39 74.

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