La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Bab et Sane

Bab et Sane - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Hassane Kassi Kouyaté et Habib Dembélé, duo dramatiquement clownesque Légende photo : Mario del Corto

Publié le 10 décembre 2009

S’inspirant d’un fait divers, l’auteur suisse René Zahnd construit un huis clos où l’enfermement est plus mental que physique. Un duo, orchestré par Jean-Yves Ruf, avec le burkinabé Hassane Kassi Kouyaté et le malien Habib Dembélé.

Deux hommes, terrés dans le sous-sol gris béton d’une « Villa paradis », liés face à face au fil incertain d’un destin commun. Ils s’appellent Bab et Sane. Zaïrois exilés en Suisse. Gardiens de métier. Avant, ils vivaient sous la coupe réglée du Président Mobutu, veillant nuit et jour les biens de sa luxueuse villa lausannoise. Hier tenus fermement entre crainte et admiration, les voilà seuls aujourd’hui, serrés dans l’étreinte de l’attente, coincés au fond d’une crevasse de l’Histoire. « Papa Maréchal » s’est fait viré d’un coup d’Etat, après plus de trente ans de règne absolu, de frasques meurtrières et désastres économiques. Eux préfèrent rester cachés, de peur de représailles des partisans du nouveau gouvernement. Reflexe d’élémentaire prudence, aiguisé à force d’habitudes de dictature. Alors ils attendent, parlent du pays, avalent quelques lampées de Petrus, causent pour griser le temps et noyer l’angoisse. Ils s’amusent avec les mots, jouent au « dictateur » et peu à peu se prennent aux leurres de la fiction. L’un enfile la toque en peau de léopard, puis les gestes puis les discours du Roi du Zaïre… jusqu’à se perdre lui-même.
 
Tragiquement clownesque
 
S’inspirant de faits survenus en 1997, lorsque Laurent-Désiré Kabila renversa Mobutu et prit le pouvoir, René Zahnd trame un huis clos qui vient questionner l’emprise du despote dans la construction même de l’identité et le lien parfois ambigu entre dominé et dominant. Car ces deux- là vivent un enfermement plus mental que physique, prisonniers qu’ils ont d’une relation d’amour-haine pour le Père de la Nation qui les a longtemps structurés. L’auteur suisse taille la situation par des dialogues vifs, qui manipulent le verbe avec une cinglante drôlerie et pousse le sens aux confins de l’absurde. Tels les lointains cousins de Vladimir et Estragon de Beckett, Bab et Sane forment un duel dramatiquement clownesque, ponctué par la sonnerie obstinée du téléphone qui frappe comme un violent rappel du dehors. Pourtant, cette tragédie de l’enfermement ne parvient pas à se nouer tout à fait, comme si le brillant spirituel de l’écriture restait un exercice de style, coincé entre le fait divers réel et la métaphore. Ou peut-être est-ce la mise en scène de Jean-Yves Ruf qui semble se méfier du réalisme tout en s’y enfermant ? Ou bien le jeu allègre du burkinabé Hassane Kassi Kouyaté (Sane) et du malien Habib Dembélé (Bab) qui ne savent pas dériver vers la folie et laisser filtrer la perdition, l’effroi profond qui sourd au cœur de ces personnages et les arrime à leur tanière ? Sans doute un peu de tout cela.
 
Gwénola David


Bab et Sane, de René Zahnd, mise en scène de Jean-Yves Ruf, du 8 au 19 décembre 2009, au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre. Rens. 01 46 14 70 00 et www.nanterre-amandiers.com. Puis en tournée, notamment le 15 janvier 2010, au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, res 0130 96 99 00. Durée : 1h10. Texte publié aux éditions Actes-Sud Papiers.

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