Klesudra ou Celui qui vole l’eau
Fondé en 1996 par Benoît Belleville et Gérard [...]
Adepte des titres foutraques et des collisions culturelles, Marielle Pinsard présente son nouveau spectacle au TARMAC : ni breton, ni landais, plutôt helvéto-décapant et africano-étonnant, jubilatoire, intelligent et sidérant…
Dans L’Animal que donc je suis, Jacques Derrida propose de remplacer le terme animal par celui d’animot. Le jeu créatif permet de signifier la multiplicité des acceptions de ce terme : l’animal est tous les animaux. Sous ce concept, se cache une foule bigarrée. Elle n’a en commun que le mot qui la désigne pour la distinguer de l’humain. Celui-ci est convaincu de sa supériorité à force de lutter contre la bête qui sommeille en lui. Le propre de l’homme est le sale de la bête. Or, l’animal est davantage une construction culturelle qu’un taxon : voilà ce qu’illustre brillamment Marielle Pinsard avec ce spectacle inclassable. Point n’est besoin cependant d’avoir lu Deleuze et ses analyses sur le « devenir-animal » pour goûter à cette proposition originale, se prendre à rêver et se mettre à penser. Les idées s’incarnent comme par magie dans les gestes des comédiens, exactement à la manière dont les bêtes s’emparent de leurs corps.
L’homme est un animal théâtral
Tout commence un peu avant la Chute, au moment du surgissement, entre deux entrecôtes sanguinolentes, de la femme née du flanc adamique ; tout s’achève avec La Mort du cygne. Valerio Scamuffa campe le premier homme – paisible bête au milieu de ses compagnons du Paradis –, et boucle le cycle des transformations en se recouvrant de confiture et de plumes. Entre les deux, et après le génial tableau inaugural qu’interprète Julie Cloux, défilent les figures d’un bestiaire cocasse et poétique, où l’hybridation rivalise d’ingéniosité avec la métamorphose. Le brouillage catégoriel est complet, comme si on assistait à une cérémonie chamanique ou à une séance de possession par les esprits revivifiant des corps, enfin débarrassés du carcan de la raison. L’homme n’est plus maître et possesseur de la nature. Il subit une nouvelle vexation ontologique que Marielle Pinsard et les siens infligent avec un talent ahurissant et une inventivité réjouissante. La seule chose dont les animaux ne sont pas capables, c’est de s’engager dans des narrations dont ils ne sont pas les héros, remarque le philosophe et éthologue Dominique Lestel. Avec ce spectacle, Marielle Pinsard affirme cette exception en refusant toutes les autres. En racontant ces histoires dont les animaux sont les héros, la troupe qu’elle réunit semble abdiquer son humanité pour mieux la réaffirmer, magistralement et de manière excentrique et baroque.
Catherine Robert
Du 13 novembre au 5 décembre 2014. Mardi, mercredi et vendredi à 20h ; jeudi à 14h30 et 20h ; samedi à 16h. Durée : 1h40.
Fondé en 1996 par Benoît Belleville et Gérard [...]