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Théâtre - Critique

« Il n’y a pas de Ajar » de Delphine Horvilleur et Johanna Nizard, un monologue passionnant contre l’identité !

« Il n’y a pas de Ajar » de Delphine Horvilleur et Johanna Nizard, un monologue passionnant contre l’identité ! - Critique sortie Théâtre Paris Les Plateaux Sauvages
© Pauline Le Goff Johanna Nizard, merveilleuse interprète de Il n’y a pas de Ajar.

Reprise/Les Plateaux Sauvages / texte de Delphine Horvilleur / mise en scène Arnaud Aldigé et Johanna Nizard

Publié le 26 avril 2023 - N° 310

Reprise de ce texte fort avec l’interprétation magistrale de Johanna Nizard. Inspirées par Romain Gary, Delphine Horvilleur et Johanna Nizard créent une véritable entourloupe littéraire, incisive et hilarante. Sous-titrée « Monologue contre l’identité »,  la pièce interroge passionnément.   

Quelle extraordinaire interprète que Johanna Nizard, femme interprétant un homme, clown lyrique qui se métamorphose et nous apostrophe. Et quels mots puissants, irrévérencieux et drôles que ceux de Delphine Horvilleur, dont la colère contre l’enfermement et l’obsession identitaires, très en vogue en ce moment, transpire d’un « effrayant besoin de fraternité » qui ne renonce pas. Le plateau est « une cave toute noire qui sent le livre moisi ».  Quoique, pas si noire la cave, et pas si moisie l’odeur. Bien au contraire. Ce que nous offrent Delphine Horvilleur et Johanna Nizard, c’est plutôt un parfum universel, insolent et entêté, et c’est aussi une vive lumière qui persiste, lueur d’intelligence qu’on rallume contre le temps qui consume la vie, contre la connerie répandue qui suppose que l’autre est un ennemi, et aussi douce chaleur rituelle qui traverse les générations.  Sur scène se tient Abraham Ajar, « le rejeton d’une fiction très réelle », fils d’Emile Ajar, lui-même double de Romain Gary, supercherie littéraire qui valut à l’auteur d’être récompensé deux fois par le Prix Goncourt, pour Les Racines du ciel et La Vie devant soi. Abraham parle depuis une drôle de cave où la pluralité et l’incompréhensible sont célébrés comme condition de l’existence, où la vérité se diffracte en de multiples et inattendues directions, osant le grotesque et l’ironie. Il parle depuis son « trou juif », planque solitaire ainsi nommée par l’inoubliable Madame Rosa, hantée par Auschwitz, ex-prostituée qui accueille le jeune Momo. Avec une verve désopilante, de savoureux jeux de mots et un humour acéré, cette figure éminemment théâtrale évoque l’histoire folle d’Abraham, père de tous les croyants, la circoncision qui fait du juif un être incomplet (une scène dérangeante), la Marseillaise et son sang impur, l’hébreu qui ne conjugue pas le verbe être au présent, la Shoah, ou lors d’une scène hilarante le fait que les Juifs ne prononcent pas le nom de « vous savez qui », raillant ceux qui sont « hyper-connectés à la volonté de Dieu, (…) comme s’ils faisaient partie de sa garde rapprochée ».

Les délires d’Abraham, rejeton d’une fiction

Évidemment aucun ton sentencieux, aucune démonstration raisonnée dans ce « monologue contre l’identité », contre ceux qui savent ce que Dieu veut jusqu’à tuer en son nom, ceux qui s’imaginent ancrés dans une pureté indélébile, ceux qui rejettent l’autre qui évidemment est incapable de les comprendre, etc. Abraham aime à rappeler que « si t’es complètement, immanquablement toi-même, alors y’a rien à dire. » Dans le sillage admiratif de Romain Gary, place à la fiction qui se permet de moquer le réel, au mouvement, à l’interrogation, au trait vif et concis, volontiers provocateur, qui égratigne et fait réfléchir. Le texte aborde une foule de faits récents et sujets de société, de l’idolâtrie à l’appropriation culturelle, du combat contre le racisme à la transidentité, des enjeux qui se laissent aujourd’hui tristement affaiblir par une pensée figée qui assigne et catégorise. Ces excès rendent étriqués, indifférents à la souffrance de l’autre. Formidablement incarné par Johanna Nizard, qui se transforme de manière sidérante, Abraham l’insaisissable célèbre le pouvoir des livres et des histoires qui construisent et transforment les êtres, et défend un idéalisme de combat.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Il n’y a pas de Ajar
du lundi 15 mai 2023 au vendredi 26 mai 2023
Les Plateaux Sauvages
5 Rue des Plâtrières, 75020 Paris

du lundi au vendredi à 20h, samedi à 17h30. Tél : 01 83 75 55 70. Durée : 1h15. Texte publié aux Éditions Grasset.

 

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