La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Angels in America de Tony Kushner, mis en scène par Arnaud Desplechin

Angels in America de Tony Kushner, mis en scène par Arnaud Desplechin - Critique sortie Théâtre Paris Comédie-Française
© Christophe Raynaud de Lage Angels in America

de Tony Kushner / mes Arnaud Desplechin

Publié le 22 janvier 2020 - N° 284

La pièce culte de Tony Kushner sur le sida et l’Amérique de Reagan fait son entrée au répertoire de la Comédie-Française dans une version concentrée mise en scène par Arnaud Desplechin.

Pour sa deuxième incursion à la Comédie-Française, après Père de Strindberg, le cinéaste Arnaud Desplechin a choisi Angels in America. La pièce de Tony Kushner, créée en 1990 et connue en France par la mise en scène de Brigitte Jaques au Festival d’Avignon en 1994 avant celle de Warlikowski en 2007, est rapidement devenue un classique, accumulant les honneurs (prix Pulitzer et Tony Awards) et allant jusqu’à susciter une mini-série sur HBO voire un opéra signé Peter Eötvös. Il n’est pourtant pas facile de monter cette grande fresque de sept heures sur le sida dans l’Amérique de Reagan où le dramaturge mêle l’intime et l’épique, le réalisme et le merveilleux, les lieux, la tradition juive et la religion mormone, sans compter les références de Shakespeare et Brecht à Cats ou la Cage aux folles ! Le premier geste d’Arnaud Desplechin a été de couper le texte pour en livrer une version de 2h50 avec entracte. La pièce ainsi resserrée se concentre sur le quintet amoureux : Louis quitte Prior quand celui-ci est atteint du sida et vit quelque temps avec Joe, un mormon marié à Harper à qui il tente de cacher son homosexualité tandis que Belize, ancien amant de Prior, s’occupe de lui. La deuxième préoccupation d’Arnaud Desplechin a été de trouver un dispositif théâtral à même de régler, par exemple, la quarantaine de changements de décors, en recourant aussi bien aux outils traditionnels du théâtre (notamment de nombreux jeux de pendrillons ou l’utilisation de câbles pour faire voler les anges) qu’aux moyens cinématographiques comme la projection d’images vidéo.

Cohérence et fluidité

Par ses choix, Arnaud Desplechin déroule les situations et le cheminement des personnages de manière cohérente et fluide, tout en faisant ressortir le sel et l’humour des dialogues. D’où vient alors l’impression que la puissance corrosive du texte s’est émoussée ? Même la fameuse scène de rapport non protégé dans Central Park laisse de marbre. On repère bien, avec un certain effroi, les éléments tendant à penser que l’Histoire se répète : aux Tchernobyl et trou de la couche d’ozone des années 80 ont succédé Fukushima et le dérèglement climatique, mais Arnaud Desplechin se serait-il trop concentré sur la résolution des enjeux techniques au détriment du fil rouge de l’œuvre ? Ou celui qu’il dit avoir choisi, à savoir « arracher les amours hétérosexuelles à leurs privilèges », est-il vraiment le plus convaincant dans cette pièce pourtant si forte, où s’entremêlent la culpabilité et le pardon, le poids de la religion et de la famille, la difficulté d’être homosexuel et d’être soi-même, le désir et la mort ? Faute d’un axe plus fort, même la direction d’acteurs paraît trop sage, quand bien même le metteur en scène peut s’appuyer sur un Jérémy Lopez (Louis) très solide, un Clément Hervieu-Léger (Prior) bouleversant, une Jennifer Decker (Harper) fantasque et attachante ou un Michel Vuillermoz (Roy Cohn) glaçant en avocat véreux.

Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Angels in America de Tony Kushner, mis en scène par Arnaud Desplechin
du samedi 18 janvier 2020 au vendredi 27 mars 2020
Comédie-Française
Place Colette, 75001 Paris

En alternance. Soirées à 20h30, matinées à 14h. Tél. : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr. Durée : 2h50 avec entracte.

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