Entrée au répertoire de l’Opéra du « Barbe-bleue » de Pina Bausch
Événement à l’Opéra de Paris. L’entrée au [...]
Angelin Preljocaj et sa troupe créent « Requiem(s) », une œuvre poignante : du très grand art
La première image est déjà somptueuse : trois quatuors se meuvent imperceptiblement sous trois corps retenus dans les airs par des poches ou des œufs transparents, évoquant à la fois les limbes, la naissance et la mort, l’enfer ou le paradis, tandis que s’élève le Requiem de György Ligeti. La lumière signée Eric Soyer souligne, d’un rai d’or, la délicatesse des poses et la lenteur des mouvements suspendus. Mais soudain déferle toute la troupe des dix-neuf danseuses et danseurs, qui élaborent de leurs lignes et entrelacs le patron de cette chorégraphie d’une complexité inouïe, qui balance entre l’essor et la densité, le fluctuant et le fulgurant, la courbe et le galbe. Sauts immobiles et tours étendus, corps cabrés ou courbés composent le vocabulaire de ce monde flottant moitié aplomb, moitié détente. La mort imbibe chaque geste tout comme la vie en ressuscite d’autres, telle la musique qui oscille du si attendu Requiem de Mozart au surprenant métal de System of Down avec ses accents rauques et désespérés, d’Olivier Messiaen à 79D en passant par Hildur Guónadottir ou des chants médiévaux. Surgissent des lamentations et des descentes de Croix, des Passions et des Leçons de ténèbres, des liturgies mythiques ou mythologiques. Toutes ces images qui baignent notre culture occidentale et racontent nos rituels de passages.
Apocalypses annoncées
Mais, beaucoup plus intriguant, et sans doute plus poignant encore, ce cours de Gilles Deleuze sur Si c’est un homme de Primo Levi, avec des phrases qui résonnent particulièrement aujourd’hui sur « la honte d’être un homme », qui interroge « comment ils ont pu faire ça » et « la honte d’avoir assez pactisé pour survivre ». Comment chorégraphier un texte aussi massif ? Preljocaj y parvient, à travers ces corps qui se tordent ou se ramassent, ces élans anéantis, ces équilibres suspendus, ces tourbillons où la marche prend son envol. Les costumes d’Eleonora Peronetti, qui déclinent principalement une gamme en noir et blanc, avec ses multiples nuances de gris, sont particulièrement bien trouvés et ajoutent à l’atmosphère picturale de ce Requiem(s). Toutes les références visuelles s’accumulent dans cette pièce magnifique, Goya, Paul Gauguin, William Blake, Füssli… ou même Hans Bellmer, Murnau, et des drapés qui relèvent de l’hagiographie chrétienne comme de l’expressionnisme allemand, particulièrement la célèbre Totentanz (Danse macabre) de Mary Wigman. La danse macabre est celle qui lie le mort au vif. Et c’est cela que nous raconte Angelin Preljocaj dans cette création. À savoir que cette mort est déjà à l’œuvre dans les corps comme elle l’est dans notre existence, au moment où les guerres se répandent dans le monde entier… Mais que la vie doit triompher.
Agnès Izrine
Tél. : 01 40 03 75 75.
Durée : 1h30.
Vu le 17 mai au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence.
En tournée : Festival Montpellier Danse, Le Corum les 4, 5 et 6/07 ; Opéra de Vichy le 12/07 ; L’Archipel, Perpignan les 4 et 5/10 ; Le Carré, Ste Maxime le 12 /10 ; Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence du 16 au 19/10 ; La Coursive, La Rochelle les 20 et 21/11 ; Cannes, Palais des Festivals le 30/11 ; Théâtre de Caen du 18 au 22 décembre ; Les Gémeaux – Scène nationale de Sceaux du 6 au 9/02/2025 ; Opéra Royal du Château de Versailles du 12 au 19/03 ; Opéra de Rouen du 3 au 5/04 ; Auditorium, Dijon le 13 mai.
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