Roméo et Juliette
La Compagnie Les Mille Chandelles investit la [...]
Célie Pauthe met en scène Yukonstyle, de la jeune dramaturge québécoise Sarah Berthiaume, et fait découvrir une nouvelle écriture, confirmant son magnifique talent de metteur en scène.
« Une divine surprise » : Célie Pauthe définit ainsi la découverte de Yukonstyle par le comité de lecture du Théâtre de la Colline, dont elle fait partie. Comédienne et metteur en scène, Sarah Berthiaume fait une entrée remarquée parmi les auteurs contemporains, avec cette pièce à la langue inventive et ciselée, à la construction dramaturgique complexe et passionnante, aux analyses psychologiques profondes et captivantes. Aux confins du monde occidental, là où le froid engourdit les corps et anesthésie les blessures de l’âme, quatre personnages amochés réapprennent à vivre en passant l’hiver ensemble, vaille que vaille et coûte que coûte, au prix d’une élucidation douloureuse des traumatismes passés, et dans l’aveu maladroit du besoin de l’autre. Les héros de cette odyssée septentrionale ont le cœur en hiver : Garin, bougon brutal en mal d’une mère qu’il n’a jamais connue, et qu’il aimerait pouvoir aimer malgré le fait qu’elle a vendu son corps à tous avant que celui-ci ne soit dépecé par un tueur en série ; Dad’s, son père, alcoolique à bout de souffle, dont le delirium tremens fait apparaître des corbeaux inquiétants dans le ciel de son angoisse ; Yuko, jeune Japonaise venue trouver au Yukon l’endroit où rien ne lui rappelle son pays et sa famille ; et Kate, lolita déglinguée qui cherche à avorter du fruit d’une étreinte furtive dans un des bus qui traversent le Canada et qu’elle emprunte, sempiternellement, coast to coast.
Un quatuor éblouissant
Le texte de Sarah Berthiaume est d’une truculence et d’une richesse sémantique jouissives : emprunts à l’anglais, idiomes inventés par la Belle Province ou conservés d’un français désuet, constituent autant de pépites qui paraissent arrachées au fond aurifère du Klondike, fleuve vers lequel se ruèrent les ancêtres des habitants du Yukon. Le texte fait alterner récitatifs et dialogues : la langue magnifique de Sarah Berthiaume, poétique et pleine de verve, sonne juste dans chaque registre. Ce tuilage en permet un autre, entre introspection analytique et action, qui constitue une gageure que Célie Pauthe résout haut la main. La scénographie de Guillaume Delaveau soutient remarquablement la mise en scène et la construction du texte, morcelant le plateau en espaces de jeu complémentaires, que délimitent les très belles lumières de Joël Hourbeigt. Les comédiens, Dan Artus, Flore Babled, Jean-Louis Coulloc’h et Cathy Min Jung, campent leurs personnages avec un talent qui force l’admiration. Tous les quatre sont d’une vérité, d’une authenticité, d’une justesse, d’une précision absolument éblouissantes. Le travail mené par Célie Pauthe et les siens, dans ce spectacle magnifique, révèle un auteur et confirme le talent d’une des meilleurs metteurs en scène de sa génération.
Catherine Robert
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