Wajdi Mouawad revient avec son excellent « Racine Carrée du verbe être ». Chapeau !
Reprise / La Colline – Théâtre National / Texte et mise en scène de Wajdi Mouawad
Publié le 28 août 2024 - N° 324Le dramaturge, metteur en scène et comédien reprend ce récit familial foisonnant qu’il a créé à l’automne 2022. Dans cet opus qui a pour point de départ la guerre au Liban, il répond par le théâtre à de vertigineuses questions avec une maestria qui touche profondément, unissant des comédiens aguerris et des membres de la jeune troupe de La Colline. Magistral !
Un enfant et un vieil homme se plaisent à converser ensemble, dans un jeu de questions réponses. C’est le début de la pièce, son point A. L’un des deux, le vieil homme, est un fantôme. La fin, son point B, ressemble fort à cette scène inaugurale, mais alors le compagnon imaginaire, projection de lui-même dans un autre temps de la vie, est l’enfant… Entre ces deux points, Wajdi Mouawad et les siens proposent un extraordinaire voyage théâtral, virtuose, captivant, profondément touchant. Cette traversée ne suit pas une trame narrative linéaire, elle télescope et superpose diverses histoires fondées sur un même socle, démultiplie les personnages, interroge obstinément l’appréhension du réel en donnant corps à de multiples probabilités. Avec maestria, le réel est ainsi mis à distance, relativisé, réinventé. Cette transformation est un geste artistique qui impressionne, laissant place dans l’intrigue même, parfois de manière appuyée, à l’art qui permet une forme de dépassement et de beauté. Tous ces possibles qui s’incarnent et se répondent sont aussi l’antithèse d’une dérive qui aujourd’hui comme hier considère l’autre – et soi – selon des critères étriqués, qui mènent à la haine. La guerre est constitutive de l’écriture de Wajdi Mouawad, imprégnée de tragique, d’une conscience aigüe de la violence. En 1978, alors qu’il avait neuf ans, sa famille a dû fuir le Liban, pour Paris d’abord, puis pour Montréal, avant de revenir en France dans les années 2000. C’est cet exil imposé par la guerre civile qui est à l’origine de l’histoire, ou plutôt des histoires, car le personnage principal, Talyani Waqar Malik, emprunte ici une pluralité de trajectoires.
Une bouleversante équation, à multiples variables
Débutant le 4 août 2020, les situations initiales de chacun sont très diverses. En France Talyani est un chauffeur de taxi qui prend en charge un voyageur à Roissy. En Italie il est un neurochirurgien qui se paye une jeune prostituée dans une chambre d’hôtel. Au Québec il est un peintre qui s’apprête à inaugurer une exposition. Au Texas il est l’auteur d’un double meurtre qui attend son exécution dans les couloirs de la mort. Au Liban Talyani et les siens viennent de subir l’explosion du 4 août 2020. Ils sont en vie, mais tout est dévasté. L’explosion qui ravage Beyrouth réactive de manière terrifiante la violence de la guerre, actant la défaillance effarante du pouvoir. C’est Wajdi Mouawad lui-même et Jérôme Kircher, dont le jeu aiguisé fait merveille, qui interprètent remarquablement les rôles de Talyani. Si physiquement leur apparence vise une gémellité, les différences entre ces Talyani sont saisissantes, et leurs histoires osent d’improbables télescopages. Avec eux, Jérémie Galiana, Norah Krief, Julie Julien, Jade Fortineau, Maxime Le Gac Olanié, Madalina Constantin, Maïté Bufala, Delphine Gilquin, Lucile Roche et Anna Sanchez en alternance, Nathanaël Rutter, Richard Thériault, Raphael Weinstock, forment une superbe partition, reliée à un cours de physique où s’invitent poésie et métaphysique, sans oublier l’histoire d’Œdipe revisitée. Dans la belle scénographie d’Emmanuel Clolus, Wajdi Mouawad et les siens s’emparent brillamment de l’équation de la vie, faite de tant de paramètres et de liens, où la puissance et la vulnérabilité de l’enfance s’affirment, où la variable x de l’avenir, même inconnue, même effrayante, appelle l’action et l’espoir. Un spectacle bouleversant.
A propos de l'événement
Racine Carrée du verbe êtredu vendredi 20 septembre 2024 au dimanche 22 décembre 2024
La Colline - Théâtre national
15, rue Malte-Brun, 75020 Paris
Jeudi et vendredi à 17h30, samedi à 16h et dimanche à 13h30, relâche du 21 octobre au 6 novembre. Tel : 01 44 62 52 52. Durée : 6h avec deux entractes, durée de chaque partie : 1h40.