Eden
Après le très beau et très tendre Hirisinn, [...]
A la suite des attentats du 13 novembre 2015, Vous n’aurez pas ma haine pose sérieusement la question de la transposition des tragédies du réel en spectacle.
Père d’un enfant de 17 mois, le personnage fait le récit des jours qui suivent la perte de sa femme dans l’attentat du Bataclan. On parle de personnage parce qu’il est interprété par Raphaël Personnaz mais, à l’origine, il s’agit bien du récit mené par une personne, une vraie, Antoine Leiris, dont le post bouleversant, sur Facebook, quelques jours après la mort de sa femme, avait ému les réseaux sociaux. Dans celui-ci, il affirmait haut et fort, s’adressant aux assassins djihadistes, qu’il ne céderait pas à la haine, tout en levant un voile pudique sur sa situation de jeune père qui se retrouve seul à seul avec son fils. Entre eux, l’absence soudaine de la maman. Sans doute pour combattre la douleur, pour se reconstruire, Antoine Leiris a ensuite fait le récit des jours consécutifs à l’attentat du Bataclan. En est né un livre paru très vite après les attentats, en mars 2016. Cette année, une société de production a fait commande à Benjamin Guillard de son adaptation pour le théâtre et de sa mise en scène.
Au bord du voyeurisme compassionnel
Seulement voilà, entre un post Facebook écrit au cœur du malheur, un journal qui rend plus supportable les premiers jours de l’après, et un récit qu’on porte deux ans après sur les planches, la parole change de statut. De réaction à vif, elle devient témoignage, puis se transforme en objet littéraire et spectaculaire. Sur ce dernier plan, qui est celui de cet article critique, nos doutes sont nombreux. Disons-le crûment, l’intérêt de Vous n’aurez pas ma haine est très faible. Quel apport documentaire que de suivre ce jeune homme du soir des attentats au lendemain de l’enterrement de sa femme, en passant par l’institut médico-légal, les premiers moments seul à seul avec son fils, le retour à la crèche… ? On est au bord du voyeurisme compassionnel. De même, du côté de l’analyse des faits, de la manière d’en rendre compte – rappelons-le encore, le témoignage est écrit très peu de temps après les événements – on ne trouvera pas, dans la métaphore filée de l’être aimé en astre disparu ou dans le récit des femmes qui apportent des petits pots à la crèche, beaucoup matière à réfléchir. Le récit d’Antoine Leiris est simple et authentique, c’est toute sa force. Et il colle aux faits dans une langue qui se prête certainement plus à la lecture – sobre, silencieuse, intérieure – qu’à la théâtralité. Ainsi, les énervements répétés du personnage surlignent inutilement les émotions du personnage. Quant aux intermèdes au piano – avec inutiles jeux de lumière sur le voile qui sépare la pianiste du protagoniste -, ils ont au moins l’avantage de ne pas verser dans le larmoyant. Non, décidément, rien ne trouvera grâce à nos yeux dans ce spectacle empli d’une parole consensuelle qui ne questionne rien.
Eric Demey
du mardi au dimanche à 18h30, relâche les lundis et le 19 décembre. Tel : 01 44 95 98 00. Durée : 1h20.