« Bérénice » de Guy Cassiers avec Suliane Brahim dans le rôle-titre
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Traversée d’une heure à travers les quelque mille pages du Journal* de Jean-Luc Lagarce, ce monologue finement sculpté par Vincent Dedienne dit les vicissitudes d’une existence et les bouleversements d’une époque. Éclairé par une mise en scène tout en nuances de Johanny Bert, Il ne m’est jamais rien arrivé porte haut l’art de l’essentiel.
L’œuvre commence le 9 mars 1977, alors que Jean-Luc Lagarce a 20 ans. Elle se poursuit jusqu’au 27 septembre 1995, trois jours avant sa mort des suites du sida. Dans son Journal, l’auteur et metteur en scène noircit vingt-trois cahiers, au sein desquels il exprime le champ de ses pensées, teintées du regard pince-sans-rire qu’il porte sur le monde. Il puise dans la matière intime d’observations familiales, sexuelles, amicales, théâtrales, médicales…, sans exclusive. Il revient aussi sur des événements marquants de l’actualité. Le style est factuel, parfois quasi télégraphique. Jean-Luc Lagarce ne se restreint pas. Il s’épanche sans contrainte, répond au besoin — que l’on sent impérieux — d’écrire, de dire, de circonstancier les territoires de sa conscience. Pendant des années, il le fera par paragraphes mensuels puis, à partir du 23 novembre 1984, qui signe la fin de son neuvième cahier, par le biais de passages marqués de dates précises. Une histoire s’est ainsi constituée, qui en dit long sur les années sida, la vie de la communauté homosexuelle, les attentes et les insuccès d’un artiste qui ne connaîtra pas, de son vivant, l’immense notoriété qui est devenue la sienne. Cette mémoire précieuse est aujourd’hui réinvestie et transmise, au Théâtre de l’Atelier, par une création à l’exigence bouleversante. Imaginée par le comédien Vincent Dedienne et le metteur en scène Johanny Bert, Il ne m’est jamais rien arrivé cisèle dans le particulier pour façonner l’universel.
Le quotidien d’un homme de théâtre gay
Vincent Dedienne (qui a lui-même extrait de la masse du Journal le texte du spectacle) bouge les lignes du face-à-face avec soi-même pour parler au public. Expansif, aigu, souriant, l’homme qu’il incarne monte sur scène pour échapper à sa solitude. Il nous regarde dans les yeux, partage avec nous les angles et les ellipses de son existence. Assez vite, la maladie surgit. Une glissade vers la mort s’enclenche, riche de sensibilité, dénuée de pathos. On pense à Louis, double théâtral de l’auteur et protagoniste central de Juste la fin du monde. On le voit, on l’entend s’extirper de cette pièce pour reprendre à son compte les lignes de ces pages autobiographiques. Il y a quelque chose de pirandellien dans cette confrontation entre les soulèvements de théâtre et les saisissements du réel. A l’extrémité droite du plateau, la dessinatrice Irène Vignaud réalise, en direct, des croquis blancs projetés sur les rideaux à franges noirs qui délimitent l’espace abstrait de la représentation. Radicalement dépouillée, la scénographie de Johanny Bert répond à l’extrême précision de sa direction d’acteur. L’envolée d’une heure qu’il a élaborée avec Vincent Dedienne est tout simplement magistrale. Entièrement vêtu de noir, le comédien se fond à l’obscurité de la scène, comme il embrasse les multiples émotions de la vie qu’il retrace. La délicatesse dont il fait preuve est renversante. Elle éclaire avec beaucoup d’élégance la gravité et l’humour d’une mémoire qui se perpétue.
Manuel Piolat Soleymat
* Publié aux Solitaires Intempestifs, comme le texte du spectacle.
Du jeudi au samedi à 19h. Durée : 1h. Tél. : 01 46 06 49 24. www.theatre-atelier.com
Également du 25 au 27 mars 2025 au Sémaphore à Cébazat, le 29 mars à La Halle aux grains à Blois.
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