La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Urfaust

Urfaust - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Tempête
© P. Berthon Frédéric Cherboeuf et Marie Kauffmann (Faust et Marguerite), profondément touchants.

Théâtre de la Tempête / de Goethe / traduction Jean Lacoste et Jacques Le Rider / mes Gilles Bouillon

Publié le 13 janvier 2017 - N° 250

Avec des comédiens brillants et touchants, Gilles Bouillon et son équipe proposent une remarquable mise en scène de la première mouture de Faust écrite par le jeune Goethe (1749-1832). Un théâtre populaire, intense et captivant. 

C’est la première mouture de l’œuvre de toute une vie par un auteur majeur. Une esquisse que Bertolt Brecht qualifie de « chef-d’œuvre admirable » et de « coup de maître » dans ses Ecrits sur le théâtre ! Gilles Bouillon et son équipe ont eu l’heureuse idée de faire (re)découvrir Urfaust, un Faust originel, œuvre de jeunesse inachevée, miraculeusement retrouvée en 1887, qui sera suivie des deux œuvres de 1808 puis 1832. Remarquablement mise en scène et interprétée, la pièce éclaire l’expérience de Faust de façon intemporelle, et vraiment poignante. Débarrassée de tout folklore, de prégnance surnaturelle et fantastique, ce Urfaust déploie toute sa complexe humanité, toute sa tragique cruauté, et ravive aussi une dimension de théâtre populaire, avec des scènes bouffonnes et impertinentes dans une veine shakespearienne. Dans le premier tableau, Faust, avide de connaissance, se désole et se tourmente : ni les mots ni la science ne lui apprennent ce qu’est le monde. Les livres éparpillés sur le sol, le bric-à-brac du savant, l’esprit stérile du passé… Tout disparaît pour laisser place à la connaissance du cœur, aux mouvements de la vie et aux turbulences du vaste monde ! Tabula rasa. C’est l’expérience concrète de l’amour qui désormais a la main, et mène au chaos. Sturm und Drang. Tempête et passion. Le ciel est nu, sombre, agité. En proie aux caprices des désirs, privé des Lumières de la raison, orphelin de la consolation de Dieu – l’Eglise chrétienne « a dévoré des pays entiers sans jamais cependant souffrir d’indigestion »… -, l’homme est livré à la solitude, dans une société rigide prompte à condamner quiconque s’écarte du droit chemin.

Magie du théâtre

La passion consume les êtres, et anéantit Marguerite. Tout commence par une volonté assumée, Faust demande à Méphisto, sorte d’alter ego bouillonnant et fringant, chien noir déguisé en humain, de l’aider à séduire la belle Marguerite, jeune fille simple et innocente. Au fur et à mesure que l’intrigue avance, les jeux de surplomb et de manipulation s’estompent, la focale se concentre sur le drame humain, dans une arène crépusculaire et close sans échappatoire. La scénographie de Nathalie Holt, les lumières de Marc Delamézière et la partition sonore d’Alain Bruel conjuguent leurs effets et rehaussent la fable, sans aucune esbroufe, au fil de tableaux nets, fluides, d’une grande beauté. Plus que tout, c’est la direction d’acteurs et le jeu profondément touchant des comédiens qui rendent justice à ce texte fort, qui n’a rien perdu de sa portée. Frédéric Cherboeuf (Faust), Marie Kauffmann (Marguerite), Vincent Berger (Méphisto), Juliette Poissonnier (Marthe), Etienne Durot et Baptiste Chabauty sont en tous points remarquables. Lorsqu’autant de talents le servent, c’est le pouvoir magique du théâtre de se faire révélateur, en donnant ainsi vie et corps aux mots !

Agnès Santi

A propos de l'événement

Urfaust
du mardi 10 janvier 2017 au dimanche 5 février 2017
Théâtre de la Tempête
Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris, France

Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30. Tel : 01 43 28 36 36. Durée : 1h50. Texte publié aux éditions Bartillat.

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