La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Melancholia Europea (une enquête démocratique)

Melancholia Europea (une enquête démocratique) - Critique sortie Théâtre Grenoble MC2
© Dan Ramaen

MC2 / écriture et mise en scène Bérangère Jannelle

Publié le 28 décembre 2016 - N° 250

A partir de la pensée et de la méthodologie d’Hannah Arendt, Bérangère Jannelle et les siens enquêtent sur le concept de banalité du mal, éclairant le présent par les exemples du passé.

Quels sont les fondements de cette nouvelle création ?

Bérangère Jannelle : Nous cherchons à fabriquer de la pensée, à faire théâtre en prenant appui sur les ressorts de la philosophie politique. Cette création, initiée il y a deux ans, interroge les processus de transformation d’une société qui indiquent le basculement de la démocratie vers le fascisme ; elle interroge aussi le lien entre Culture et Histoire pour éclairer notre présent. La pièce se fonde principalement sur la pensée de Hannah Arendt, et en particulier sur le concept de “banalité du mal“ qui a été et est parfois encore mal compris. Hannah Arendt le définit très clairement comme l’absence de pensée qui, par paresse, ambition ou ego démesuré, empêche la possibilité de se mettre à la place de l’autre. C’est ce qu’elle repère lors du procès d’Adolf Eichmann en 1961. Le texte s’est nourri de divers ouvrages d’Hannah Arendt – Condition de l’homme moderne, Le système totalitaire, La crise de la culture… – et d’une constellation de penseurs tels Walter Benjamin, Pier Paolo Pasolini, Georges-Didi Huberman… Nous avons créé une fable entièrement écrite à l’aide de ces outils de compréhension légués en héritage, de ces lucioles que nous nous approprions et que nous transmettons en imaginant une enquête.

« Comme un NCIS de philosophie politique, l’enquête est une dissection de l’idéologie fasciste. 

En quoi consiste cette enquête ?

 B. J. : Cinq comédiens-chercheurs – sociologue, historien, philosophe, ethnologue, chercheur sonore… – enquêtent sur la banalité du mal. Sur un plateau transformé en salle de rédaction aux très nombreuses archives, ils questionnent l’histoire en train de s’écrire, avec notre actualité comme point de départ. Il n’y a pas de reconstitution, ils utilisent l’Histoire pour comprendre le présent, et partent d’études de cas. En cela, ils se conforment à la méthodologie d’Hannah Arendt qui préférait au concept de masse ou de peuple celui de singularités assemblées. Ils examinent trois cas, trois personnalités “normales“ et cultivées. Heinrich Himmler, fils de professeur, chef des SS, ministre de l’Intérieur du Reich. Albert Speer, architecte d’Hitler devenu ministre de l’Armement, le seul à Nuremberg à avoir reconnu ses responsabilités tout en disant qu’il était un artiste et non un homme politique. René Bousquet, soutien du régime de Vichy et pilier de la déportation, qui a fait tranquillement carrière en France jusque dans les années 80. C’est la correspondance d’Himmler avec sa femme Marga (de 1927 à 1945) qui a été le déclencheur de cette pièce. Ces lettres sont une extension du domaine du moi, et il y est entendu qu’existent des êtres supérieurs et des êtres inférieurs. Les comédiens décident de se mettre à la place de ces bourreaux pour mener l’enquête. Du documentaire à la fiction, du passé au présent, des échos apparaissent. Une création sonore et musicale par Jean Damien Ratel et une création filmique par Thomas Guiral participent pleinement à l’écriture du spectacle et font entrer les époques en résonnance. On s’immisce dans une idéologie fondée sur le fait que l’altérité n’existe pas. Comme un NCIS de philosophie politique, l’enquête est une dissection de l’idéologie fasciste, dont les rebondissements ouvrent des possibles insoupçonnés.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Melancholia Europea (une enquête démocratique)
du vendredi 13 janvier 2017 au samedi 21 janvier 2017
MC2
4 Rue Paul Claudel, 38100 Grenoble, France

Les 13, 17 et 20 janvier à 20h30, les 14, 18, 19 et 21 janvier à 19h30, relâche les 15 et 16 janvier. Tél : 04 76 00 79 00. Durée : 1h45.

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