La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Une puce, épargnez-la

Une puce, épargnez-la - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Christophe Raynaud De Lage Légende photo : Julie Sicard et Catherine Sauval

Publié le 10 juin 2012 - N° 199

La dramaturge américaine Naomie Wallace entre au répertoire de la Comédie-Française avec un huis clos douloureux et angoissant.

La mort rôde, sombre compagne des charognards, se glisse d’un souffle fétide au cœur des élégants salons de la bourgeoisie londonienne, maraude la vie au mauvais hasard du destin, par delà les frontières sociales. Chaque jour, la Grande Peste de 1665 gagne des foyers et déverse ses victimes dans les noirs fossés de la ville. Reclus dans leur demeure mise en quarantaine, les Snelgrave attendent, seuls, survivant à leurs domestiques fauchés par l’épidémie. Seul à seul. Jusqu’à ce que, Bunce, jeune matelot déserteur blessé au flanc, puis Morse, gamine effrontée se prétendant issue d’une grande famille, s’introduisent par effraction dans leur quotidien désolé, trompant la vigilance des murs épais et la surveillance de Kabe, inquiétant gardien qui bloque toute tentative d’échappée. Ils se mettront au service des époux, seuls à seuls, maintenant. Et tandis que la maladie continue de dévorer tout alentour, peu à peu se relâchent les distances, se fissurent les convenances et se met en jeu un trouble quatuor, à l’abri des volets barricadés. Les élans de la chair réveillés sous le feu du fléau ébranlent l’ordre et délient les imaginaires jusqu’alors solidement vissés sur les classes sociales.

Le jeu du pouvoir, du désir et de la mort

D’une plume sèche qui s’emporte parfois en envolées soudaines, la poétesse et dramaturge américaine Naomie Wallace serre lentement les nœuds de ce huis clos où s’enlacent le pouvoir, le désir et la mort. La mise en scène d’Anne-Laure Liégeois, résolument sobre et classique, apporte un heureux contrepoint à la dialectique qui confronte le bouleversement des hiérarchies sociales, rongées par l’isolement contraint et le danger permanent, avec le désordre des corps, trop longtemps cadenassés en silence sous les mœurs puritaines et la domination mâle. Si la scénographie, réduite à l’épure grise d’une pièce qui dessine l’enfermement en un espace mental puis dévoile ses alcôves à mesure que se révèle le secret des êtres, inquiète d’abord tant elle se conforme aux lignes d’une esthétique convenue, la force des comédiens finit par l’emporter. Louvoyant entre hypocrisie et bonté, Guillaume Gallienne donne la juste ambiguïté de Snelgrave, riche marchand engoncé dans la raideur de son rôle. Cloîtrée dans une dignité qui doucement cède à la sensualité, Catherine Sauval incarne avec subtilité Darcy, épouse reniée dans l’intime depuis qu’un incendie la ravagea. Félicien Juttner apporte sa jeunesse hésitante à Bruce, déminant le piège de la virilité conquérante. Julie Sicard rayonne et campe une Morse faussement ingénue, vive, insolente et déjà coriace. Leur jeu ainsi aiguisé fouille les plaies du corps social et dénude jusqu’à l’os le désarroi des âmes.

 

Gwénola David


Jusqu’au 12 juin en alternance. Comédie-Française, théâtre éphémère, Jardin du Palais royal, 75001 Paris. Tél. : 0825 10 16 80 (0,15€ la minute). Durée : 1h50. Texte publié aux Editions Théâtrales.

 

A propos de l'événement

Comédie-Française / De Naomi Wallace / Mise en scène Anne-Laure Liégeois

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