La Terrasse

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Théâtre - Critique

Une Cerisaie franco-japonaise ample et picturale, mise en scène par Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou en collaboration avec le Shizuoka Performing Arts Center

Une Cerisaie franco-japonaise ample et picturale, mise en scène par Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou en collaboration avec le Shizuoka Performing Arts Center - Critique sortie Théâtre Gennevilliers T2G - Théâtre de Gennevilliers
La Cerisaie mise en scène par Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou © Jean-Louis Fernandez

T2G – Théâtre de Gennevilliers

Publié le 13 novembre 2022 - N° 304

D’une grande beauté, cette étonnante Cerisaie mise en scène par Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou fait suite à l’invitation de Satoshi Miyagi et du Shizuoka Arts Center. Unissant des comédiens français et japonais qui s’expriment dans les deux langues, la partition impressionne. Avec dans les rôles de Lioubov et Lopakhine Haruyo Hayama et Philippe Smith, saisissants de vérité.

Épurée, picturale, crépusculaire, cette représentation de La Cerisaie est née suite à la demande de Satoshi Miyagi et du Shizuoka Performing Arts Center de poursuivre leur collaboration avec Daniel Jeanneteau, en créant au Japon une pièce de Tchekhov, un auteur que cette merveilleuse troupe n’avait encore jamais monté. Après la mise en scène de textes de Sarah Kane, Tennessee Williams et Maeterlinck, cette quatrième aventure commune rapproche encore davantage les théâtres et les pratiques puisqu’elle unit pour la première fois sur scène comédiens français et japonais. Cette distribution mixte parvient à faire entendre les deux langues dans une parfaite fluidité, sans qu’intervienne la moindre rupture, si bien que l’on regrette d’être contraint de devoir prêter attention aux surtitres lors des passages en japonais. Une telle continuité impressionne. Si Daniel Jeanneteau a choisi La Cerisaie, c’est parce qu’elle est selon lui particulièrement « hospitalière », ouverte à des théâtralités et sens pluriels. Il est vrai que les mots de Tchekhov sont irrigués par son expérience de médecin et d’homme d’action, embrassant une pluralité de vérités qui se bousculent, se contredisent et se répondent. Comme Vassili Grossman au siècle suivant, c’est l’homme concret qui l’intéresse, et non pas une conception abstraite de l’homme. Souvenons-nous de son long voyage jusqu’au bagne de l’île de Sakhaline, qu’il effectue déjà malade en 1890 puis qu’il restitue dans un compte-rendu. Emplie de chagrins, travaillée par des désirs et visions du monde – et de la cerisaie – qui divergent, l’ultime pièce de Tchekhov se noue dans une période charnière, où les dimensions sociale, politique, économique et psychologique s’imbriquent. Comme dans d’autres écrits, il y affirme son souci écologique.

Rien de tranché et d’univoque

La mise en scène s’attache à scruter en quoi la pièce agit ici et maintenant, mais il serait réducteur de cantonner son amplitude à un message politique et d’évidentes résonances avec l’époque. Son partis pris intemporel voire onirique donne corps à une très belle proposition, qui touche même si parfois elle tient à distance l’émotion, quelques passages frôlant une sorte de formalisme. Si certains personnages (français) semblent parfois enfermés dans une sorte de raideur, les deux figures centrales de la pièce s’avèrent saisissantes de vérité. Rien de tranché et d’univoque dans le duo qu’ils forment, ils apparaissent au contraire dans une complexité chatoyante. Déchirée de l’intérieur, très présente au monde et pourtant inconséquente, Lioubov est admirablement interprétée par Haruyo Hayama. Presque mélancolique, rationnel et impliqué à chaque instant, Lopakhine, fils de moujik, est lui aussi incarné avec nuance et précision par Philippe Smith. Parmi d’autres caractérisations, la grâce enjouée de Douniasha (Miyuki Yamamoto) ou la légèreté oiseuse de Gaev (Kazunori Abe) apportent une touche singulière. En fond de scène, un vaste ciel chargé de nuages, parfois traversé par le vol fugace d’un oiseau, s’assombrit puis disparaît, à l’instar de la cerisaie de l’enfance. Les hommes sont-ils voués à ne pas savoir anticiper les crises ? Ancrée dans l’histoire russe à l’aube d’une guerre et d’une révolution, la pièce interroge nos illusions persistantes, nos éternelles incompétences. Sur notre planète devenue plus petite quoique toujours incompréhensible, il est frappant de constater à quel point Tchekhov nous parle et s’élève au-delà de son contexte d’écriture. Traversant les continents entre Shizuoka et Paris, cette mise en scène audacieuse, sans surplomb, le montre.

Agnès Santi

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A propos de l'événement

La Cerisaie
du jeudi 10 novembre 2022 au lundi 28 novembre 2022
T2G - Théâtre de Gennevilliers
1, avenue des Grésillons, 92230 Gennevilliers

lundi, jeudi et vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h. Tel : 01 41 32 26 10. www.theatredegennevilliers.fr  Egalement au Théâtre des 13 Vents - Centre Dramatique National de Montpellier, du 8 au 14 décembre.

 

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