Combat avec l’ombre
Frédéric Dussenne adapte à la scène Le [...]
Avignon / 2013 - Entretien Pierrette Dupoyet
L’auteure, metteure en scène et comédienne Pierrette Dupoyet souvent fait entendre de grandes voix littéraires et politiques, et à travers leur puissance celles de ceux qui n’en ont pas. A point nommé, alors que la société déboussolée se tourne vers les extrêmes, elle crée un spectacle sur un homme politique exemplaire, Jean Jaurès (1859-1914), et elle présente deux autres spectacles. Un théâtre humaniste et profondément généreux.
Pourquoi avez-vous décidé de consacrer un spectacle à Jean Jaurès ? Quel regard portez-vous sur cet homme politique hors pair ?
Pierrette Dupoyet : Je m’intéresse aux grandes destinées, et plus particulièrement, aux êtres qui, par leurs écrits, leurs actes ou leurs combats, ont oeuvré au progrès de l’Humanité. Jaurès est de ceux-là. Il n’a eu de cesse d’améliorer le quotidien de ses concitoyens et avait une très haute idée de « La » Politique (c’est-à-dire cet espace magnifique d’expression où la réflexion de quelques-uns profite à tous). Rigoureux, audacieux, orateur hors pair, il a pris la parole pour défendre ceux que l’on écrasait, méprisait, humiliait. Comme Victor Hugo il avait compris que c’est par l’éducation que le monde peut être sauvé… « Construire des écoles, c’est abattre les murs des prisons ». Cent ans après son assassinat, sa parole résonne encore car elle était pétrie d’humanisme et de bonté.
Quels aspects de la vie politique de Jaurès souhaitez-vous mettre en valeur ?
P. D. : Ses combats pour plus de Justice, sa foi en l’Homme, son respect des notions de travail et d’équité. Son idée que l’émancipation peut se faire sans le recours à la violence. J’évoquerai ses discours, qui sont toujours d’une brûlante actualité, notamment sur la Jeunesse et la laïcité, ses lectures, son idéalisme et l’humilité qu’il a su garder même lorsqu’il a été poussé dans la lumière. Le spectacle évoquera aussi ses courageuses positions pendant des grèves de travailleurs, lors de l’Affaire Dreyfus, ainsi que la création du Journal L’Humanité où il avait, à ses côtés comme rédacteurs, des gens tels que Francis de Pressenssé, Anatole France, Octave Mirbeau, Jules Renard, Tristan Bernard, Léon Blum… Au-delà de la dimension politique, c’est à l’Homme que je souhaite rendre hommage.
Comment intervient la guerre de 1914-1918 dans le spectacle ?
P. D. : Elle est en arrière-fond du spectacle puisqu’elle éclate trois jours seulement après l’assassinat de Jaurès et que le spectacle va se dérouler du 31 Juillet 1914 jusqu’au 29 Mars 1919, date du procès de son assassin. On suivra cette guerre par les échos qui parviendront jusqu’à Louise, la veuve de Jaurès, que j’incarne. Jaurès ne voulait pas de cette guerre, ni d’aucune autre. Nous n’avons que très peu de renseignements sur Louise, j’ai ainsi pu lui mettre dans la bouche des convictions et des réflexions en accord avec les valeurs que je défends moi-même, finalement très proches de celles de Jaurès…
Laisse tomber la neige évoque l’univers psychiatrique. Comment traitez-vous ce thème à la scène ?
P. D. : Ce spectacle est tiré d’un fait divers des années 80 qui m’avait interpellée. Pour échapper à la prison, une meurtrière déguise son crime en acte de démence mais le piège de la folie se referme sur elle. L’enfermement est un thème qui me fascine et auquel je suis confrontée chaque fois que je joue en prison. Quant à la folie, c’est un univers que nous côtoyons sans cesse. L’homme, pour rester raisonnable, doit souvent faire des efforts démesurés et la tentation de l’acte de folie le guette. Le spectacle pose une foule de questions sur la justice et sur la notion de circonstances atténuantes.
Vous présentez aussi Alexandra David-Néel. Qui était cette femme à qui vous donnez vie sur scène ?
P. D. : Alexandra David-Néel était une aventurière, libre-penseuse, érudite, indépendante, rebelle, qui a fait de sa vie un cheminement vers la sagesse. A 100 ans, elle a demandé une prolongation de passeport… Je la sens comme une cousine, une sœur. Les frontières ne l’ont jamais arrêtée dans sa curiosité pour le monde. Elle est la première étrangère à être entrée à Lhassa, capitale du Tibet, alors interdite aux étrangers. Tout la passionnait, la faisait marcher, courir… parfois habillée en homme ou en mendiante afin de passer inaperçue. J’ai pu rencontrer la dernière dame de compagnie d’Alexandra : Marie-Madeleine Peyronnet qui m’a fait l’amitié de me parler de celle dont elle a partagé la vie pendant 10 ans. Alexandra, dans sa façon de vivre, dans ses carnets de voyage, a laissé un formidable message d’espoir à tous ceux qui veulent conquérir leurs rêves.
Propos recueillis par Agnès Santi
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