La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Superstructure de Sonia Chiambretto , mise en scène d’ Hubert Colas

Superstructure de Sonia Chiambretto , mise en scène d’ Hubert Colas - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre National de Strasbourg
Sonia Chiambretto © D.R.

de Sonia Chiambretto / mes Hubert Colas

Publié le 16 décembre 2020 - N° 289

En août 2020, Sonia Chiambretto a publié Gratte-ciel, un texte choral sur la « décennie noire » de l’Algérie et les échos de la guerre d’indépendance. Une traversée de la violence et de la peur qui prend corps dans une Alger dystopique, rêvée par Le Corbusier, et qui s’incarne sur les planches dans l’adaptation Superstructure mise en scène par Hubert Colas.

Quelle est la genèse de votre texte ?

Sonia Chiambretto : Tout part du télescopage, à l’été 1997, des annonces de la mort de Lady Di et du massacre de Raïs, un des plus gros massacres de la « décennie noire », lors duquel 300 personnes furent assassinées par le GIA (Groupe Islamique Armé). Le monde entier pleurait la mort de Lady Di, cette information occupait tout l’espace médiatique, effaçant celle du massacre. Or il m’a effrayée parce qu’il était proche – j’habite à Marseille – et aussi parce que j’ai à Alger une famille que je connais très peu. J’ai eu à la fois une vision d’horreur de ce massacre et l’inquiétude du monstre : de quel côté se trouve cette famille ? qui sont-ils ? Je me posais cette question pour la première fois et je n’ai eu de cesse de les rechercher. J’ai retrouvé deux cousines de 15 et 20 ans qui m’ont présenté des amis et peu à peu, j’ai commencé des récits. J’ai mis dix ans pour tout écrire.

« Ce qui m’intéresse, c’est entendre le terroriste repenti comme la jeune fille terrorisée. »

Est-ce difficile d’écrire sur l’Algérie ?

S.C. : L’Algérie et la France partagent une histoire très proche mais c’est incroyable comme ce sujet est compliqué. Chaque mot peut provoquer une explosion. On peut parler ou écrire sur beaucoup de sujets mais encore aujourd’hui, écrire sur les questions de la colonisation, de la décolonisation, du terrorisme, reste difficile. J’avais l’impression de traverser un champ miné.

Vous êtes-vous censurée en écrivant ?

S.C. : Non, jamais, mais je me demandais comment trouver le mot juste, comment ne pas trop en dire non plus, comment m’effacer du texte, comment laisser ouverts tous les points de vue. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise parole. Ce qui m’intéresse, c’est entendre le terroriste repenti comme la jeune fille terrorisée. Ouvrir tous les espaces possibles, ne pas être dans le jugement.

La toponymie de la ville compte beaucoup dans votre texte qui s’inspire du projet Obus de Le Corbusier. Pourquoi ?

S.C. : Dans les années trente, Le Corbusier débarque à Alger, éprouve un coup de foudre pour la ville et se lance dans un projet futuriste assez fou où il imagine un gratte-ciel, une autostrade aérienne, des bâtiments sur pilotis… Il travaille pendant dix ans, respatialise la ville mais finalement, son projet est rejeté. Quand j’ai décidé d’écrire mon texte, je voulais déplacer le temps du récit, lui donner quelque chose de futuriste. J’ai créé une ville dystopique qui devient le support du récit où j’associe plusieurs couches de mémoire comme la guerre d’indépendance, la décolonisation, la « décennie noire ». Le projet de Le Corbusier devient une sorte de fantôme de la colonisation. Parler d’une ville fantasmée permet un vrai déplacement dans l’imaginaire et rend plus large la question de la violence, de la terreur. Cela dépasse l’Algérie.

Comment se passe le travail avec Hubert Colas ?

S.C. : Nous avons eu beaucoup de discussions, nous n’avons pas toujours été d’accord mais nous avons avancé chacun avec nos expériences personnelles. Il connaît très bien mon écriture car c’est lui qui a emmené au théâtre mes premiers textes publiés en poésie. Hubert Colas est important pour les auteurs, il choisit souvent des textes difficiles et en fait quelque chose, en plus de les faire circuler.

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Superstructure de Sonia Chiambretto , mise en scène d’ Hubert Colas
du jeudi 21 janvier 2021 au samedi 30 janvier 2021
Théâtre National de Strasbourg
1 avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg

Tél. : 03 88 24 88 24.

Le texte de Sonia Chiambretto, Gratte-ciel, est paru à l’Arche éditeur en août 2020. L’autrice fera également ses débuts en mise en scène en 2021 avec Yoann Thommerel pour deux créations : Ilôts au CDN de Caen et Paradis au CDN de Caen et Théâtre Ouvert.

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