Que ta volonté soit Kin de Sinzo Aanza, mise en scène d’Aristide Tarnagda
Dans le cadre de la Saison Africa2020, [...]
Galin Stoev reprend sa mise en scène du dernier texte d’Ivan Viripaev, qu’il a créée en 2018. Un quatuor orchestré tout en nuances et aspérités, autour de quatre trentenaires perdus.
C’est un long compagnonnage qui unit l’auteur Ivan Viripaev et le metteur en scène Galin Stoev, qui l’a fait connaître en France avec Rêves en 2001, et a notamment monté Oxygène ou Danse Delhi. Il reprend ici Insoutenables longues étreintes, son dernier texte en date, semblable à Oxygène par son énergie tenace et par son adresse directe au public. Ce qui saisit dans l’écriture d’Ivan Viripaev, c’est sa manière singulière d’entremêler et de télescoper la médiocrité affligeante d’un quotidien sans espoir et un irrépressible besoin de sens. Comme une plongée dans le pire de l’existence qui serait néanmoins tendue de toutes ses forces vers une possibilité de beauté. Etonnante, touchante, sa langue le place parmi les auteurs majeurs de l’époque. Elle entretient une proximité saisissante entre le trivial et le spirituel, le sordide et l’onirisme. Contrairement à la partition plutôt loufoque des Enivrés, notamment mise en scène avec brio par Clément Poirée, cette création s’avère plus tranchante, plus sombre, la mort y rôde sans cesse. Galin Stoev la met en scène avec maîtrise et subtilité, il en fait résonner les échos contradictoires, il en éclaire la profonde tristesse et aussi les ouvertures vers d’autres possibles, même vaines, rageuses, cantonnées à un imaginaire fantasmatique.
Célébration paradoxale
Ils sont quatre trentenaires : Monica, Charlie, Amy et Christophe. Originaires d’Europe de l’Est pour certains, ils vivent à New York avant de partir pour Berlin, « New York en moins cher ». Les relations se font et se défont, sans que jamais ils ne soient satisfaits. Douleur d’un avortement, tentative de suicide, quête effrénée d’orgasmes, cauchemars de serpents noirs, alcool, drogue, violence qui se déchaîne, traversée de l’enfer… Sinatra a beau chanter la féerie de New York, la vie est « une vraie saloperie ». Ce n’est pas dîner dans le meilleur restaurant vegan de la ville qui va donner un sens à l’existence. Les personnages ici racontent leur histoire, un récit troué de percées oniriques. Au milieu de tout ce malheur émergent des voix venues de galaxies lointaines, « la voix de l’univers » qui trouble la linéarité et impulse de nouveaux désirs, plus vrais, plus tendres, pour aider enfin à être vivants. C’est à l’intérieur de chacun des personnages qu’elles se font entendre, et cette manière de poser des questions essentielles et d’accorder de l’importance à l’intériorité dans un monde catastrophique est très belle. Même enfermés dans une prison mentale, il leur est possible de briser les murs. Une telle partition exige un grand talent de la part des comédiens, qui doivent trouver une distance juste, alors qu’une noirceur empreinte de vulgarité côtoie des interrogations profondes. Remarquablement dirigés, ils relèvent le défi avec un talent sûr. Profondément touchante, Marie Kauffmann est impressionnante de finesse et de précision dans le rôle de Monica. De même, Pauline Desmet (Amy), Nicolas Gonzales (Charlie) et Sébasien Eveno (Christophe) déploient un jeu remarquable. Leurs étreintes sont une célébration paradoxale de la vie.
Agnès Santi
à 20h sauf samedi à 18h, relâche le dimanche. Tél : 05 34 45 05 05. Spectacle vu en décembre 2018 au Théâtre de la Colline à Paris. Durée : 2h.
Dans le cadre de la Saison Africa2020, [...]