La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Stéphane Braunschweig revisite « La Mouette » de Tchekhov dans le contexte au désastre écologique qui menace notre monde

Stéphane Braunschweig revisite « La Mouette » de Tchekhov dans le contexte au désastre écologique qui menace notre monde - Critique sortie Théâtre Paris Odéon-Théâtre de l’Europe
Le metteur en scène Stéphane Braunschweig © Carole Bellaïche

Entretien
Odéon – Théâtre de l’Europe / texte Anton Tchekhov / mise en scène Stéphane Braunschweig

Publié le 24 octobre 2024 - N° 326

Alors qu’il vient de quitter la direction du Théâtre national de l’Odéon, Stéphane Braunschweig revient à La Mouette, pièce qu’il a mise en scène, une première fois, en 2001. Il revisite aujourd’hui ce classique en le plaçant face au désastre écologique qui menace notre monde.

Vous avez, par le passé, mis en scène quatre pièces d’Anton Tchekhov. Qu’est-ce qui vous lie à ce théâtre ?

Stéphane Braunschweig : J’ai commencé à le monter très jeune, avec La Cerisaie, en 1992. J’avais 28 ans. Tchekhov est vraiment l’un des auteurs dont je me sens le plus proche. Notamment, parce qu’il porte un regard assez clinique sur ses personnages. On dit qu’il ne les juge pas. En effet, il ne pose pas de condamnations morales sur eux, il cherche toujours à les comprendre. Et pourtant, il ne les épargne pas. Il est à la fois critique et compréhensif. J’aime beaucoup cet entre-deux. Et puis, il s’agit d’un théâtre profondément existentiel, qui parle de la question de l’espoir, de la jeunesse, de la façon dont on peut vivre le présent… C’est aussi cela qui me plait.

Pourquoi avoir choisi de revenir à La Mouette ?

– B.: Car c’est une pièce qui met en scène des auteurs, des acteurs, qui parle du théâtre, de la nécessité des nouvelles formes, qui nous interroge sur ce que peut le théâtre dans le contexte plus que morose que nous sommes en train de vivre : aussi bien sur le plan social, politique, géopolitique, climatique… Il est vrai que dans ma vie de metteur en scène, je n’ai quasiment jamais monté plusieurs fois une même œuvre. Mais, Tchekhov ayant écrit peu de pièces, si l’on a régulièrement besoin de travailler sur son théâtre, comme c’est mon cas, on est obligé de revenir à des pièces que l’on a déjà montées. Évidemment, je ne le ferais pas si je n’avais pas, aujourd’hui, une nouvelle vision de cette pièce, une façon différente de poser les problèmes. Travailler avec de nouvelles actrices et de nouveaux acteurs nettoie l’imaginaire des choses du passé : chacun des interprète apporte son propre univers, sa propre conception de son personnage.

« Il me paraît toujours très important de revisiter les pièces à l’aune des changements qui touchent la société. »

En quoi consiste cette nouvelle vision ?

– B.: En 2001, j’avais beaucoup travaillé sur la question d’une communauté soudée par l’amour du théâtre. Aujourd’hui, cette réflexion sur la nécessité de l’art est toujours présente, mais il m’a semblé intéressant de placer le spectacle que l’un des personnages — Treplev (ndlr, le fils d’Arkadina, une actrice célèbre) — monte dans le premier acte de La Mouette, au centre de ma propre mise en scène. On n’écoute habituellement pas vraiment ce qui dit cette petite pièce. On s’attache davantage à sa forme qui renvoie, comme le disent les autres personnages, à un théâtre décadent. Or, cette pièce a pour thème l’effondrement total de la vie sur terre. Le jeune artiste qu’est Treplev essaie de produire un électrochoc chez ses spectateurs. Pour faire mieux entendre cette chose-là, j’ai inversé le procédé de « théâtre dans le théâtre ». Au lieu de jouer la petite pièce de Treplev dans la grande pièce de Tchekhov, je représente la grande pièce de Tchekhov dans le décor de la petite pièce de Treplev. Cela permet à l’idée de cet effondrement de rester, comme en rémanence, dans l’esprit du public.

Avez-vous l’impression que ce nouveau prisme de regard rend la pièce de Tchekhov plus désespérée ?

– B.: Je ne crois pas. Car il me semble que le geste de Treplev est un geste de combat. On sait que La Mouette ne finit pas très bien pour le jeune auteur qu’est Treplev, mais cela ne veut pas dire que tout espoir disparaît. Il y a, c’est certain, une dimension assez pessimiste chez Tchekhov, un regard assez noir sur l’humanité, mais il n’y a pas de cynisme. La conscience du péril qui nous guette débouche, dans ce théâtre, sur une ténacité, sur un sens des responsabilités, que l’auteur avait lui-même en tant que médecin. Par exemple, Nina touche le fond après avoir perdu son enfant et avoir été abandonnée par Trigorine (ndlr, l’amant d’Arkadina qui a eu une liaison avec Nina). Malgré cela, elle intègre une troupe de théâtre et se met à travailler… Je dois également ajouter que tout ce qui s’est passé depuis 20 ans, notamment le mouvement #MeeToo, m’a amené à regarder les relations hommes/femmes avec un autre œil. Trigorine est un écrivain célèbre qui détruit une jeune femme… Il me paraît toujours très important de revisiter les pièces à l’aune des changements qui touchent la société.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

La Mouette
du jeudi 7 novembre 2024 au dimanche 22 décembre 2024
Odéon-Théâtre de l’Europe
place de l’Odéon, 75006 Paris

Du 7 novembre au 22 décembre 2024. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Relâche exceptionnelle le dimanche 10 novembre. Durée : 2h45. Tél. : 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre