La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2014 - Entretien Entretien Olivier Neveux

S’opposer à la manière dont le capitalisme nous (dé)considère

S’opposer à la manière dont le capitalisme nous (dé)considère - Critique sortie Avignon / 2014
Crédit photo : Anne Julien Légende Photo : Olivier Neveux

Idées / Le spectateur et les œuvres

Publié le 23 juin 2014 - N° 222

Quelle place la relation au spectateur occupe-t-elle dans le rapport au politique des œuvres de la scène ? Auteur de Politiques du spectateur*, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’université Lumière Lyon-2, Olivier Neveux répond à nos questions.  

Comment pourriez-vous définir, ou caractériser, les différentes possibilités de théâtre politique ? 

Olivier Neveux : Il me semble décisif en préalable d’interroger ce que la politique peut signifier ou désigner. La signification de la politique est en elle-même l’enjeu d’un débat… politique. Il existe des désaccords sur ce qu’elle recouvre. Caractériser comme politique la soumission à la finance du pouvoir actuel me paraît ainsi très abusif. Le mot d’ordre des années 1960 « Tout est politique » – qui s’est avéré un formidable instrument de politisation (il permettait de penser la présence des rapports de domination en toutes circonstances et de s’opposer au « naturel » apparent des choses) – est désormais retourné en son contraire. Car aujourd’hui, à soutenir simplement que « tout est politique », il se trouve que plus rien ne l’est… ! Il y a, dès lors, un enjeu à défendre que la politique possède une consistance propre, qu’elle ne se confond pas avec le tout-venant des opinions, qu’elle n’est pas abdication devant ce qui est, qu’elle est irréductible à la pédagogie, à la morale, ou même à la culture. Et qu’elle est toujours « conflit »… C’est un fait : le théâtre semble s’être doté, depuis quelques décennies, d’un nouveau « surmoi », après des années d’indifférence sociale et politique. Il lui faudrait rendre compte du monde, ce serait l’une de ses fonctions. Ainsi, il s’est mis, et avec ardeur, en quête de la réalité de la « misère du monde ». Le projet est louable. Le problème, c’est que ce terme de réalité est, le plus souvent, conçu comme n’étant ni embarrassant, ni polémique. Ce « retour au monde » va, hélas, bien souvent de pair avec une subordination à cette même réalité, à ce qui apparaît d’elle. Nous le cultivons comme un fétichisme de l’authentique. Je ne crois pas que le constat, fût-il de dénonciation, invente avec le « monde » un rapport politique. Des œuvres tentent, précisément, à cette heure, de s’arracher au « réalisme politique » pour faire valoir d’autres types de rapport du théâtre au « monde » et du spectacle au « spectateur ».

« Des spectacles proposent un autre type de place au spectateur que celle de l’élève ou de la cible… »

Dans quelle mesure la relation qu’un type de théâtre souhaite établir avec ses spectateurs détermine-t-elle le rapport qui le relie au politique ? 

O. N. : C’est en effet l’hypothèse de mon livre : arpenter le continent du théâtre politique en fonction des différentes places qu’il réserve à ses spectateurs. À l’origine de ce travail, il existe comme une perplexité devant un discours très répandu qui affirme que la mission politique de l’œuvre serait de brusquer le spectateur, le violenter, lui révéler sa vulnérabilité, etc. C’est ainsi que ce spectateur se réveillerait de sa (supposée) apathie. Ce sont des réflexions qui proviennent de l’art transgressif des années 1960. Sauf qu’entre temps, elles sont aussi devenues celles de la domination ! L’expérience de la précarité, du risque, de la violence sont des expériences quotidiennes pour l’immense majorité de la population. Il est alors difficile d’expliquer en quoi elles resteraient subversives… C’est à partir de là, du projet politique qu’un spectacle dit avoir pour son spectateur, que l’on peut essayer, me semble-t-il, de percevoir les constellations qui organisent le champ du théâtre politique. Des spectacles se donnent pour tâche de nous sensibiliser, réveiller, sidérer, informer, documenter, mobiliser… De là, il faut interroger la teneur de semblables projets, dans la séquence historique qui est la nôtre, à l’aune de ce qui organise le néolibéralisme, par exemple, et de sa façon de traiter, d’infantiliser, de malmener, de violenter les individus.

Les spectacles contemporains, c’est-à-dire issus de notre époque néolibérale, ont-ils fait naître de nouvelles formes de relations aux spectateurs ?

O. N. : Nouvelles, je ne sais pas. Mais assurément, il existe aujourd’hui des réinventions : des formes et des spectacles proposent un autre type de place au spectateur que celle de l’élève ou de la cible, une autre expérience politique que celle de la conscientisation ou de la transgression – là où le spectateur n’est (enfin !) ni infantilisé, ni managé. Vouloir émanciper quelqu’un, c’est d’une façon ou d’une autre le maintenir sous sa tutelle. Ce sont ces essais qui m’intéressent et sur lesquels je reviens dans mon livre : ce qu’ils proposent de rare, leur façon de n’être en redondance ni avec le « monde », ni avec les émotions qui le dominent (le désenchantement, le ricanement, la peur, etc.). Et, par là, leur capacité à s’opposer, pratiquement, à la manière dont le capitalisme nous (dé)considère.

 

* Politiques du spectateur. Les Enjeux du théâtre politique aujourd’hui, Olivier Neveux, Editions La Découverte, 2013. Du même auteur, chez le même éditeur : Théâtres en lutte. Le théâtre militant en France des années 1960 à aujourd’hui, 2007.

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

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