La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Simon McBurney

Simon McBurney - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Eva Vermandel Légende photo : Simon McBurney

Publié le 10 septembre 2008

La beauté du monde en équation

C’était un matin de 1913. G.H. Hardy, brillant mathématicien de Cambridge, recevait une missive inattendue d’un certain Srinivasa Ramanujan, qui démontrait, avec l’insolente agilité du génie, la résolution des équations les plus complexes. De ce choc naissait une improbable amitié qui allait traverser les mers et s’épanouir dans le mystère des nombres. Brodant sur cette trame, Simon McBurney et sa compagnie Complicite embarquent pour un fascinant voyage au cœur des hommes de sciences.

« J’ai compris qu’entreprises mathématique et artistique partageaient la même nécessité : celle d’une imagination profonde, originale et instinctive. »
 
Comment avez-vous découvert l’histoire de G.H. Hardy et Srinivasa Ramanujan?
J’ai grandi à Cambridge, où mon père était professeur de préhistoire. Chaque dimanche, des amis et érudits partageaient notre table et là se déroulaient toutes les discussions. Cambridge offrait un puits intarissable d’histoires sur ses universitaires migrants et excentriques. L’une d’elles parlait de Hardy et de Ramanujan. Des années plus tard, en 1998, mon ami Michael Ondaatje me donna Une apologie du mathématicien de GH. Hardy. Quelque chose de mon passé fut remué et je lus le livre. J’ai compris qu’entreprises mathématique et artistique partageaient la même nécessité : celle d’une imagination profonde, originale et instinctive. Alors j’ai commencé à travailler….
 
Quelle fut la matière première de ce travail ?
Elle consiste en la vie elle-même, telle que nous l’expérimentons et la comprenons. Tout comme ces premiers hommes qui regardaient les étoiles au ciel inventèrent une fiction en reliant les points lumineux, nos esprits, quand nous observons la vie chaotique autour de nous, lient ensemble les moments en traçant une ligne, imaginaire ou non. Nous nouons alors ces événements les uns aux autres et l’histoire que nous racontons commence à donner du sens au monde alentour, c’est-à-dire à nous orienter nous-mêmes.
 
Concrètement, comment se déroule le processus de création ?
Il passe d’abord par la conception de l’espace dans lequel les histoires adviendront. En fait, il reste difficile à cerner, car instable, changeant sans cesse avec le flot quotidien des idées nouvelles. Nous créons un imaginaire commun et essayons chaque jour des approches différentes. Des scènes émergent, par rebondissements, digressions, contradictions… qui peu à peu vont faire leur chemin en se combinant.
 
Comment trouver une expression physique, tangible, du monde abstrait des mathématiques ?
La musique, en particulier indienne, fournit un exemple : ce sont des maths qu’on peut entendre. Les motifs rythmiques sont construits sur ce qui s’appelle « Tihais » et sont ensuite de plus en plus complexifiés à travers des formes rotatoires. Déceler ces structures à l’oreille puis les reproduire en chantant ou en battant des mains demandent un long apprentissage… mais quelle satisfaction !
 
Cherchez-vous à traduire sur scène la « beauté des mathématiques » ?
Nous établissons plutôt des parallèles avec la vie. Les modèles n’existent pas seulement dans des pensées abstraites mais aussi dans le monde concret, dans la nature. A nous de les trouver…
 
Les mathématiques peuvent-ils stimuler l’imagination ou provoquer des sentiments ?
Bien sûr. La réflexion sur un schéma abstrait stimule la pensée. Compter peut être interprété comme une façon de quitter le zéro, le lieu où nous sommes ici et maintenant, ce qui, en un sens, revient aussi à trouver le chemin de la maison. Les mathématiques sont sans équivoque. Ils comportent en effet une certitude qui nous enracine. 317 est un nombre premier, non parce que je le pense, ou parce que vous me le dites, mais parce que c’est ainsi. Tout ce qui nous enracine est synonyme, en un sens, de maison. Et la maison évoque des sentiments plus que tout ce que nous connaissons.
 
Vous superposez plusieurs strates narratives, comme souvent dans vos spectacles. Pourquoi privilégiez-vous ce type de schéma ?
Parce que nos vies entrelacent plusieurs dimensions. Il n’y a que dans le monde unidimensionnel de la télévision que la non-réalité d’une narration unique domine – et nous ment systématiquement, trahissant constamment la beauté du monde. Parce que la beauté réside dans sa complexité et sa dérobade face à l’œil inquisiteur de la connaissance.
 
Cette pièce évoque également les frontières géographiques, culturelles… Pensez-vous que le théâtre peut aider à les dépasser ?
Je l’ai toujours rêvé.
 
Entretien réalisé et résumé par Gwénola David


A Disappearing Number, conception et mise en scène Simon McBurney, dans le cadre du Festival d’Automne, du 27 septembre au 3 octobre 2008, à 20h30 sauf dimanche à 15h30, relâche lundi, au Théâtre Nanterre-Amandiers, .7 avenue Pablo Picasso, 92022 Nanterre. Rens. 01 46 14 70 00, www.naterre-amandiers.com et www.festival-automne.com.

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre