La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon - Critique

Sans tambour, de la musique (et) des sentiments

Sans tambour, de la musique (et) des sentiments - Critique sortie Avignon / 2022 Avignon Avignon In. Cloître des Carmes
Christophe Raynaud de Lage - Festival d'Avignon / Sarah Le Picard et Lionel Dray dans Sans tambour de Samuel Achache

CLOîTRE DES CARMES / TEXTE ET MISE EN SCENE SAMUEL ACHACHE

Publié le 10 juillet 2022 - N° 301

Avec Sans tambour, Samuel Achache explore la désintégration des sentiments dans un objet scénique singulier, alchimie entre texte et musique aux confins de l’absurde et de la mélancolie. Une écriture collective magistrale où rire et émotion se confondent. 

Les affinités de Samuel Achache avec la musique ne sont pas nouvelles – depuis 2013, avec Le crocodile trompeur / Didon et Enée, adaptation de l’opéra de Purcell mis en scène avec Jeanne Candel, il développe une écriture au carrefour des notes et des mots. Pour Sans tambour, il est parti des lieder de Schumann, et de ce caractère d’instantanés lyriques que le Romantisme affectionnait pour plonger dans les paradoxes du cœur au fil d’une mosaïque narrative. L’entrée en scène de Leo-Antonin Lutinier donne le ton de la soirée  : il mime l’insertion d’un 45 tours des Liederkreis op.39 dans un tourne-disque, et la modulation du son, tandis que, au gré de cette gestuelle, la soprano Agathe Peyrat chante, accompagnée par le quintette bigarré de musiciens-comédiens – saxophone, flûte, clarinette, violoncelle et accordéon – emmené par Florent Hubert. Mais les anamorphoses de la musique ne tardent pas et contaminent les relations d’un couple au bord de la rupture – l’obstination fébrile de Sarah Le Picard et la rudesse désespérée de Lionel Dray, et vice-versa, forment un duo irrésistible. Sur ce thème surexploité, les oscillations du texte entre le trivial et le métaphysique sont redoublées par le jeu instrumental, au moment même où la violence contenue fait exploser les plâtres de la maison côté cour. 

Le comique involontaire du tragique

Car l’écriture théâtrale de Sans tambour est aussi musicale. Plus qu’une imitation rythmique du flot de paroles, les improvisations épousent la mélodie intime de la déclamation, faisant affleurer le comique involontaire du tragique. La succession de saynètes toutes aussi savoureuses les unes que les autres – l’arrivée du nouveau pensionnaire à la maison de repos et ses péripéties cocasses, la collusion du récit des amours de Tristan et Yseult avec l’adultère invisible du mari, ou encore la trépanation pour soigner la mal de vivre – revisitent avec une poésie et une verve fécondes le répertoire des dérèglements burlesques dans une partition où les mots sont des notes comme les autres, et réciproquement. Réduit à des bribes, voire à quelques arpèges sur piano préparé, le fond schumanien s’intègre dans un vocabulaire théâtral dont il constitue l’un des leitmotiv. Si la lutte de la flamèche sur cuiller de Lionel Dray contre le mistral dans la cour du Cloître ou la lance télescopique vers le public comptent parmi de piquants moments de tréteaux, la composition de la scène finale autour du douloureux dixième lied des Dichterliebe op. 48, Hör’ ich das Liedchen klingen, balaie une variété de registres, jusqu’à une conclusion chorale a capella toute en douceur, avec une musicalité qui récapitule toute la sève de Sans tambour. Une création en inventivité majeure  !

Gilles Charlassier

A propos de l'événement

Sans tambour
du jeudi 7 juillet 2022 au mercredi 13 juillet 2022
Avignon In. Cloître des Carmes


Relâche dimanche. Tél  : 04 90 14 14 14.  Durée  : 1h40 

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