La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2022 - Entretien / Hanane Hajj Ali

Jogging – جوغينغ de Hanane Hajj Ali : un courageux défi aux stéréotypes et aux préjugés qui accablent les femmes du monde arabe.

Jogging – جوغينغ de Hanane Hajj Ali : un courageux défi aux stéréotypes et aux préjugés qui accablent les femmes du monde arabe. - Critique sortie Avignon / 2022 Avignon Festival d’Avignon. Théâtre Benoît XII
Nora Noor / Hanane Hajj Ali

Festival d’Avignon / Théâtre Benoît-XII / dramaturgie d’Abdullah Alkafri / scénographie Éric Deniaud

Publié le 26 juin 2022 - N° 301

Hanane Hajj Ali court à travers Beyrouth et dans les méandres de ses rêves et de ses craintes. Un courageux défi aux stéréotypes et aux préjugés qui accablent les femmes du monde arabe.

Que raconte la pièce ?

Hanane Hajj Ali : Des histoires vraies qu’on n’ose pas raconter d’habitude. C’est une pièce qui défie le triangle des Bermudes des tabous libanais : la religion, la politique et le sexe. Par exemple sur la question du martyre. Dans les milieux orthodoxes, il est considéré comme sacré. Je raconte l’histoire d’une femme qui a perdu ses trois fils : les deux premiers ont été déclarés martyrs après leur mort au combat lors de l’invasion israélienne de 2006. A cette époque, cette femme en était fière. A l’origine très à gauche, elle a progressivement adhéré à l’idéologie islamiste. Mais à la mort de son troisième fils, parti combattre dans les rangs du Hezbollah en Syrie et tué par son commandant pour avoir refusé de massacrer des villageois, elle reçoit une lettre dans laquelle son fils lui interdit de considérer qu’il est mort en martyr. A ce moment-là, tout s’écroule et elle se sent coupable. Quand je joue cette pièce au Liban elle est toujours suivie d’une discussion que j’appelle épilogue (ça ne sera hélas pas possible à Avignon). Cela permet de redonner au théâtre sa fonction d’agora.

« C’est une pièce qui défie le triangle des Bermudes des tabous libanais : la religion, la politique et le sexe. »

Cette pièce est d’ailleurs un défi à la censure…

H.H.A. : Avec cette pièce, je n’ai pas voulu me plier à la loi de la censure libanaise qui interdit que l’on monte une pièce sans l’aval du Département de la censure du ministère de l’Intérieur. Cette loi – parfaitement illégale – autorise à soumettre à l’amende, à emprisonner celui qui joue sans visa de censure et à sceller l’espace dans lequel a lieu le spectacle. Peu de gens ont osé défier cette loi. J’ai considéré qu’après 35 ans de carrière artistique, je ne pouvais pas supporter un tel diktat : soit je continue à m’exprimer librement, soit j’arrête de travailler. On m’a dit que c’était risqué et on m’a averti du danger, mais deux amis m’ont accueillie dans une salle alternative où nous avons joué le spectacle gratuitement pour échapper aux poursuites. De plus, comme la censure préalable ne s’applique pas aux textes imprimés, nous avons édité la pièce en trois langues, et les spectateurs ont pu l’acheter pour soutenir la cause de la liberté d’expression. J’ai voulu présenter la pièce partout au Liban, afin de plaider pour la décentralisation et la démocratisation de la culture. Le succès a été considérable : nous l’avons jouée plus de 300 fois au Liban, partout dans le monde, déjà à Avignon dans le Off avec La Manufacture, et aujourd’hui dans le In.

Comment le personnage de Médée surgit-il dans ce récit ?

H.H.A. : Au début, je ne l’avais pas en tête. Ce spectacle est né pendant mes courses à pied matinales à travers Beyrouth. Lorsque je courais, je faisais des rêves éveillés et j’écrivais mes impressions en rentrant. Je me suis souvenu d’un rêve que j’avais fait, alors que mon fils avait un cancer osseux virulent et que rien ne permettait de le soulager. En courant, j’ai rêvé que je plaçais un coussin sur son visage pour l’étouffer. C’est alors que la figure de Médée m’a envahie. J’avais toujours refusé ce rôle, n’étant pas convaincue qu’une mère puisse tuer ses enfants. En faisant des recherches, j’ai découvert l’histoire d’une Libanaise qui s’était suicidé après avoir empoisonné ses trois filles. En travaillant sur cet entrelacement, j’ai retrouvé l’histoire de la mère de martyrs. Tout s’est alors agencé pour composer ce spectacle.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Jogging – جوغينغ
du mercredi 20 juillet 2022 au mardi 26 juillet 2022
Festival d’Avignon. Théâtre Benoît XII
12, rue des Teinturiers 84000 Avignon

à 18h ; relâche le 23 juillet. Tél. : 04 90 14 14 14. Durée : 1h30. Spectacle en arabe surtitré en français et en anglais.

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