La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Roman(s) national, de Julie Bertin et Jade Herbulot du Birgit Ensemble

Roman(s) national, de Julie Bertin et Jade Herbulot du Birgit Ensemble - Critique sortie Théâtre la Roche-sur-Yon Le Grand R - Scène nationale de La Roche-sur-Yon
La brillantissime troupe du Birgit Ensemble dans Roman(s) national. © Simon Gosselin

En tournée / conception, écriture et mise en scène Julie Bertin et Jade Herbulot / Le Birgit Ensemble

Publié le 17 décembre 2021 - N° 295

Julie Bertin et Jade Herbulot inventent une passionnante fiction politique sur fond d’élection présidentielle, servie par des comédiens sidérants de vérité et une mise en scène au cordeau. Un remarquable spectacle !

Depuis le poème de Kipling placardé sur ses portes et le réseau qui porte son nom, le musée de l’Homme est associé à la résistance et à l’accueil des réfugiés (dès les années 30, Paul Rivet fait du musée d’ethnographie du Trocadéro l’asile des juifs allemands exilés et russes émigrés). Dans la pièce écrite et mise en scène par Julie Bertin et Jade Herbulot, le bâtiment lui-même devient résistant. Les forces magiques qui s’y cachent se déploient pour défaire les calculs politiques mesquins des membres du parti Horizon qui en ont fait leur quartier général. L’intrigue se situe dans un monde parallèle ou dans un avenir proche (ce que laissent craindre les incroyables similitudes avec l’actualité, qui sont évidemment des coïncidences mais sonnent comme de terrifiantes alarmes). Paul Chazelle, candidat à la présidence de la République et fils spirituel du locataire défunt de l’Élysée, est en passe de gagner, face à Olivia Janot qui emmène l’Union des gauches. L’ancien champion d’escrime, libéral et conservateur, a tout de l’homme providentiel et nouveau : il est le héraut idéal d’une droite bon teint prônant les valeurs de courage et de détermination, dont il a lui-même su faire preuve en gagnant les Jeux olympiques. Mais il n’est pas de présent sans passé, pas d’envolée vers les cimes sans racines. Il n’est pas de nation sans histoire, même quand on essaie d’en cacher la part honteuse : le musée de l’Homme et les voix trop longtemps tues des fantômes qui s’y cachent vont le rappeler avec force à Chazelle et à la troupe de jeunes loups ambitieux qui l’entoure.

Perfection dramaturgique et excellence scénique

L’histoire de la chute de la maison Horizon est racontée par Moïra, sorte de parque moderne chargée par l’équipe en campagne de réaliser le documentaire qui fixera la mémoire de sa prise de pouvoir. Depuis le bord du plateau, elle se souvient. Ce qu’elle raconte prend chair grâce à une troupe de comédiens exceptionnels qui offrent une interprétation d’un réalisme époustouflant. On se croirait devant les meilleurs épisodes de House of cards ou Succession ou dans une science-fiction inspirée du Prince et de La République. Moïra dit d’emblée que les choses vont mal finir : comme dans Les Ambassadeurs, où la mort en anamorphose guette les trop confiants Jean de Dinteville et Georges de Selve, le passé qui ne passe pas va finir par étouffer les politiciens amnésiques, qui préfèrent le marketing à l’histoire et l’horizontalité des réseaux sociaux à la verticalité des institutions. Julie Bertin et Jade Herbulot se gardent de forcer le trait : leurs personnages ne sont ni odieusement cyniques, ni franchement menteurs, ni résolument méchants. Ils sont plutôt à l’image d’hommes et femmes politiques modernes : froids technocrates, habiles rhéteurs, adroits manipulateurs, prêts à changer de valeurs quand les sondages leur indiquent la direction du vent et du succès électoral. Rousseau prévenait déjà au livre IV de l’Emile : « Ceux qui voudront traiter séparément la morale et la politique n’entendront jamais rien à aucune des deux ». Les voix de Cuuké Gorodja, Cuuké Goromoto, Ouene Naaoutchoué et Tein Neaoutyine le rappellent aux égarés de cette fable politique en faisant parler les morts, dont la colonisation a caché les cadavres, comme les maniaques de l’anthropologie physique ont accumulé leurs crânes dans les sous-sols du musée de l’Homme. Point de leçon d’histoire ni d’édification morale avec ce spectacle : le Birgit Ensemble montre ; il ne juge pas. Eléonore Arnaud, Pauline Deshons, Pierre Duprat, Anna Fournier, Antonin Fadinard, Lazare Herson-Macarel, Morgane Nairaud, Loïc Riewer et Marie Sambourg sont tous brillants et la mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot est d’une maîtrise et d’une fluidité admirables. Créé au CDN Normandie-Rouen début décembre et accueilli pour sa première francilienne à Châtillon, où Christian Lalos confirme l’excellence de ses choix programmatiques, ce spectacle est sans doute la meilleure préparation citoyenne aux échéances politiques à venir en 2022.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Roman(s) national
du mardi 18 janvier 2022 au mercredi 19 janvier 2022
Le Grand R - Scène nationale de La Roche-sur-Yon
Esplanade Jeannie Mazurelle, 85000 La Roche-sur-Yon

Mardi à 20h30 ; mercredi à 19h. Tél. : 02 51 47 83 83.

Du 24 au 26 janvier à 20h Le Grand T - Théâtre de Loire Atlantique, 47-49 rue du Coudray, 44000 Nantes. Tél. : 02 51 88 25 25. Reprise du 9 au 27 mars au Théâtre de la Tempête et les 31 mars et 1er avril à La Filature, Scène Nationale de Mulhouse. Durée : 2h25. A partir de 15 ans. Spectacle vu au Théâtre de Châtillon.

 

 

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre