La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre musical - Critique

Ainsi la bagarre, de et avec Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume

Ainsi la bagarre, de et avec Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume - Critique sortie Théâtre Paris theatre de l'aquarium
Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume dans Ainsi la bagarre. © Jean-Louis Fernandez

Théâtre de l’Aquarium / de et avec Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume

Publié le 17 décembre 2021 - N° 295

Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume signent et interprètent un étonnant spectacle tout en faux-semblants, faux-fuyants, énigmes et paradoxes, original et touchant, bizarre et beau.

On pense au Baudelaire des Curiosités esthétiques face aux variations tragicomiques et clownesques composées par Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume : « Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu’il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente (…). C’est son immatriculation, sa caractéristique. Renversez la proposition, et tâchez de concevoir un beau banal ! » Rien de banal, de fait, dans ce spectacle inclassable, qui commence par une engueulade au public à grands renforts d’assiettes cassées et finit par une transe à la May B. Un peu de Beckett (peut-être), un peu de Kafka (revendiqué), des ailes de géant qui n’empêchent pas le poète de marcher mais rendent ses étreintes maladroites, un hommage à Chris Marker, un visage bleu pour Pierrot, mille autres clins d’œil, que l’on saisit ou ne saisit pas, mais qui donnent ensemble l’impression d’assister à une performance qui relève autant de la pantalonnade que d’une initiation mystique, comme si le théâtre était ainsi rendu à ses archaïques et fantasmatiques premiers parents.

Buster Keaton à Eleusis

On croit qu’il faut rire et soudain l’émotion submerge la scène ; on est prêt à se laisser bouleverser, et une pirouette change la grimace en sourire. On découvre qu’au cœur de ce récit qui refuse chronologie et logique, se tient, fragile et délicat, le dernier conteur qui se souvient encore que c’est le conte qui dit le vrai puisque c’est le conte qui le dit… Dans ce grand théâtre qu’est le monde, les artistes sont des réparateurs. Ils ne sont pas dépositaires du sens, puisque l’existence est absurde : il est inutile d’exiger d’eux explications ou modes d’emploi. Leur rôle est seulement de montrer, et tant pis si l’on ne comprend pas, ou plutôt tant mieux, tant est reposant d’enfin ne plus entendre hurler les inquisiteurs dogmatiques. Les masques de Loïc Nebreda, la vidéo de Sarah Jacquemot-Fiumani, la composition musicale de Clémence Jeanguillaume (élaborée à partir de synthétiseurs et d’un thérémine, qui fabrique de la musique sans qu’on le touche) : tout soutient le jeu pour faire naître une étonnante impression de curieuse étrangeté et de familière anxiété. Le théâtre semble offrir d’assister en douce à un culte renouvelé des mystères, comme si Buster Keaton officiait à Eleusis…

 Catherine Robert

A propos de l'événement

Ainsi la bagarre
du jeudi 6 janvier 2022 au dimanche 16 janvier 2022
theatre de l'aquarium
Cartoucherie, route du Champ-de-manœuvre, 75012 Paris

dans le cadre du Festival Bruit. Du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 17h. Tél. : 01 43 74 99 61. Puis les 1er et 2 février à l’Empreinte, à Tulle et du 23 au 26 mars au Théâtre Garonne à Toulouse. Durée : 1h10. On peut retrouver Lionel Dray dans Les Dimanches de Monsieur Dezert au Monfort Théâtre du 13 au 19 décembre à 20h.

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