Les Fuyantes
Bricolage, nouvelles technologies et théâtre [...]
L’urgence frénétique d’un compte à rebours aux couleurs macabres. Un conte noir quand, dans la lutte pour la couronne, le sang versé devient mécanique privilégiée et que sur la scène, coule un autre filet obscène, celui de la parole intime et privée.
Dans le Richard III du Flamand Peter Verhelst, librement inspiré du drame historique shakespearien et mis en scène par Ludovic Lagarde, la route qui mène au pouvoir de l’aspirant dictateur ou du tyran sanguinaire est tracée droit, passant ingénument par-dessus les cadavres des victimes. Ignominies des mensonges et des trahisons, les meurtres sont perpétrés froidement sur les têtes royales et familiales de la couronne anglaise, les fils d’Edouard IV, Clarence et son fils, Margaret, Anne, Buckingham, Hastings (Geoffrey Carey piquant). Le message est unilatéral, et c’est peut-être la faiblesse de ce drame malgré la poésie de son écriture comme un parfum expressif entêtant. La violence outrancière de Richard est ainsi déclamée sur tous les registres par la mère du monstre d’abord, la Duchesse d’York (Anne Bellec) : « Je me suis forcée à le saisir…je n’ai jamais touché mon fils …comme les enfants non choyés. » Déjà, le cordon ombilical s’assimilait aux mouvements du serpent. La mère coupable entend ce destin filial comme la vengeance d’un chagrin de mal-aimé. La scène de l’accouchement physique fait d’ailleurs office d’ouverture symbolique au drame. Tandis que la Duchesse d’York, une gisante sculpturale dans son alcôve, se confie au public, surgit brutalement Richard (Laurent Poitrenaux) en costume de satin vert, qui vient, projeté du ventre maternel, rouler sur le plateau au bas des marches d’un palais d’apparat, la vraie scène du monde : « Enfin, l’avenir peut commencer …»
Un décor gothique de bd, ambiance David Lynch et masques félins
Comme dans un sourire, la pièce s’applique à la démonstration avec preuves à l’appui, de la naissance d’un monstre jusqu’à la réalisation de ses projets les plus fous : « Jamais tant de rêves qu’aujourd’hui n’ont attendu leur accomplissement ». Un décor gothique de bd, ambiance David Lynch et masques félins, arcades moyenâgeuses de douves de château, ombres inquiétantes avec la présence de l’homme de main, Loyal (Samuel Réhault), promu aux basses œuvres et qui finit comme un chacal sur le cadavre de son maître. Le discours de l’homme politique à la casquette de Pinochet, porté par les notes de guitare électrique de David Bichindaritz, égrène le chapelet d’une terminologie pseudo-philosophique, beauté, justice, pureté, perfectionnement et fraternité, ce qui justifie toute destruction pour l’édification de lois claires. Cette parole publique est nourrie de phrases de Gandhi, Nelson Mandela et Martin Luther King et son leitmotiv, « J’ai fait un rêve… » Dérision amère. Le cynique comprend qu’il n’y a rien à comprendre quand on atteint les sommets de la gloire : l’éloignement des flatulences populaires suffit. La vacuité argumentative des politiques ne saurait être compensée par leurs confessions impudiques, comme si l’exposition d’une parole privée sur la scène publique allait pallier l’absence crasse des valeurs et de l’intelligence du monde. Une belle critique ludique de nos incertitudes.
Véronique Hotte
Richard III
De Peter Verhelst d’après Richard III de Shakespeare, traduction du néerlandais par Chrsitian Marcipont, mise en scène de Ludovic Lagarde, du 11 au 13 octobre 2007 au Théâtre de Saint-Quentin-en- Yvelines Place Georges Pompidou BP 317 Montigny-le-Bretonneux 78504 Saint-Quentin en Yvelines Tél : 01 30 96 99 00 accueil@tsqy.org