Regardez la neige qui tombe…

Tout comme Shakespeare, on croit souvent connaître Tchekhov. Philippe Mangenot le croyait sans doute aussi avant de faire la rencontre du traducteur André Markowicz, à l’occasion d’une conférence sur Hamlet. « Ce fut une révélation. En passant par le regard du traducteur, j’ai eu accès à l’oeuvre d’une manière inédite, que j’ai voulu transmettre à travers un objet théâtral », explique le metteur en scène. Avec sa compagnie Théâtre de l’Entre-Deux, il crée alors une version condensée de la plus longue des pièces de Shakespeare, racontée par Horatio et ponctuée de réflexions sur le geste de traduction. Consacrée à l’auteur de Platonov, Regardez la neige qui tombe… s’inscrit dans la continuité de ce projet. Sur scène avec la comédienne Rafaele Huou, Philippe Mangenot y propose une traversée mouvementée de l’oeuvre et de la vie de l’auteur. Une passionnante « pièce-paysage », selon le terme inventé par Michel Vinaver et repris par le metteur en scène, en opposition à la « pièce-machine » construite selon un axe linéaire.

Tchekhov par monts et par vaux

Hamlet 60 commençait après la mort du personnage éponyme ; Regardez la neige qui tombe… débute après celle du dramaturge russe. Loin d’opter pour un traitement purement tragique de son sujet, Philippe Mangenot pointe chez Tchekhov une forme de joie de vivre. Car « même lorsqu’ils sont pris dans des situations désespérées, ses personnages ont toujours devant eux la possibilité d’un changement. Même infime ». D’un monologue d’Oncle Vania à des extraits de correspondances issus d’un ouvrage récemment publié, en passant par des dialogues de La Mouette, de Platonov et de bien d’autres choses, le spectacle dessine les contours d’un désir absolu de vivre et de faire du théâtre. Le tout sans artifices, dans une urgence qui rappelle celle de Gwenaël Morin, avec qui Philippe Mangenot travaille depuis l’ouverture du Théâtre permanent à Lyon, en 2013. Pour le Théâtre de l’Entre-Deux, Tchekhov est une montagne dans laquelle on se perd délibérément et avec joie.

Anaïs Heluin