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Avignon - Critique

“Reclaim” de la Cie Théâtre d’Un Jour : un rituel des corps pour faire advenir un possible souhaitable

“Reclaim” de la Cie Théâtre d’Un Jour : un rituel des corps pour faire advenir un possible souhaitable - Critique sortie Avignon / 2024 Avignon Avignon Off. La Manufacture
Reclaim de la Cie Théâtre d’Un Jour Crédit : © Christophe Raynaud de Lage

La Manufacture / Écriture, mise en piste Patrick Masset

Publié le 12 juillet 2024 - N° 323

Reclaim est un rituel de cirque, davantage une expérience que l’on traverse qu’un spectacle que l’on regarde, même s’il ne renie pas sa dimension spectaculaire, très bien maîtrisée. À l’aide du violoncelle, du chant lyrique, de jeux symboliques, Patrick Masset propose une façon de traverser la violence et la peur pour aller vers un apaisement collectif.

C’est un spectacle de cirque où le plus important n’est pas le cirque, encore que sa façon de tutoyer en permanence l’accident, et donc d’exorciser la peur de la mort, soit employée ici avec beaucoup de justesse. Le spectacle ouvre non pas sur des acrobaties mais sur une scène muette, symbolique, chargée : Chloé Chevallier, la voltigeuse, apparaît sur la piste, une marionnette d’enfant blottie dans ses bras, qu’elle enveloppe ensuite avec d’infinies précautions dans une peau de mouton. Même si on oublie par la suite cette présence tutélaire, tant ce qui suit est intense, la clé du rituel se trouve sans doute dans ce geste, immédiatement suivi par une nuit inquiétante, par une danse puissante évoquant un haka, et par la métamorphose des humains en bêtes fauves. Au fur et à mesure, les cinq artistes de cirque déploient des acrobaties, du main-à-main, des portés d’autant plus spectaculaires que les voltigeurs frôlent le gril dans cette salle peu adaptée à leur pratique. Figures parfaitement tenues, sauts tendus, puissance autant que maîtrise : le niveau de pure technique est très bon. Chloé Chevallier, César Mispelon et Lisandro Gallo sont d’excellents voltigeurs, Joaquin Bravo et Paul Krügener amènent une puissance physique animale en même temps qu’ils sont un appui fiable pour leurs partenaires. C’est cependant à un autre niveau que l’expérience se joue.

« L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire. »

Pour provoquer cette expérience collective sinon spirituelle, Patrick Masset s’est inspiré de rituels chamaniques d’Asie Centrale – sans appropriation culturelle puisqu’il ne s’agit pas d’imiter, et que l’influence est avouée. Il y emprunte certaines symboliques et certains mécanismes – par exemple, une séance rythmée par une « chamane » et son tambourin, Blandine Coulon avec sa présence hiératique – mais il mobilise surtout les moyens du théâtre occidental : le croire-vrai de la marionnette et du masque, la dimension sacrée du chant lyrique, les ambiances lumineuses ciselées, un rapport scène/salle très proche qui a pour but d’effacer la frontière public/interprètes. Cela fonctionne : on est happé par ce rituel où peu est explicité mais énormément donné à ressentir. Les séquences comportent toutes leur moment marquant. L’instinct sauvage, la violence au sein du groupe et spécialement entre individus masculins et individus féminins, la mise à mort symbolique, choses dont nous avons pris l’habitude d’être protégés par la métaphorisation, sont ici très crûment représentés. Les corps des artistes font plus que frôler le public, la hache du bourreau est éminemment menaçante, la scène d’agression de la jeune femme par une meute d’hommes-loups à peine soutenable… C’est parce que cette violence est crédible qu’elle nous bouleverse, et que la réconciliation nous touche fortement. La parole est rare dans ce spectacle, mais lorsqu’elle s’invite sous la forme de confessions livrées les yeux dans les yeux par les interprètes, elle est un vecteur de partage puissant. Patrick Masset réussit à proposer une expérience qui change de ce qui est habituel au cirque. Chaque membre du public sera libre de l’accueillir et l’interpréter comme il l’entend ; toujours est-il qu’on sort authentiquement bousculé de Reclaim, et que cela vaut largement l’effort de prendre une navette pour sortir du centre-ville d’Avignon et aller découvrir ce spectacle singulier.

Mathieu Dochtermann

A propos de l'événement

Reclaim
du jeudi 4 juillet 2024 au dimanche 21 juillet 2024
Avignon Off. La Manufacture
2 rue des Écoles, 84000 Avignon

navette à 20h35. Relâche les 10 et 17 juillet. Tél : 04 90 85 12 71. Durée: 1h55 navette comprise.

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