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Racine Carrée du verbe être, une pièce magistrale de Wajdi Mouawad

Racine Carrée du verbe être, une pièce magistrale de Wajdi Mouawad - Critique sortie Théâtre Paris La Colline - Théâtre national
Simon Gosselin / Racine carrée du verbe être

La Colline – Théâtre National

Publié le 24 novembre 2022 - N° 305

Après l’éblouissant Tous des oiseaux, le dramaturge, metteur en scène et comédien propose un nouveau récit familial foisonnant qui impressionne tout autant. Avec pour point de départ la guerre au Liban, il répond par le théâtre à de vertigineuses questions avec une maestria qui touche profondément, unissant des comédiens aguerris et des membres de la jeune troupe de La Colline. Magistral !

Un enfant et un vieil homme se plaisent à converser ensemble, dans un jeu de questions réponses. C’est le début de la pièce, son point A. L’un des deux, le vieil homme, est un fantôme. La fin, son point B, ressemble fort à cette scène inaugurale, mais alors le compagnon imaginaire, projection de lui-même dans un autre temps de la vie, est l’enfant… Entre ces deux points, Wajdi Mouawad et les siens proposent un extraordinaire voyage théâtral, virtuose, captivant, profondément touchant. Cette traversée ne suit pas une trame narrative linéaire, elle télescope et superpose diverses histoires fondées sur un même socle, démultiplie les personnages, interroge obstinément l’appréhension du réel en donnant corps à de multiples probabilités. Avec maestria, le réel est ainsi mis à distance, relativisé, réinventé par la fiction. Cette transformation est un geste artistique qui impressionne, laissant place dans l’intrigue même, parfois de manière appuyée, à l’art qui permet une forme de dépassement et de beauté. Tous ces possibles qui s’incarnent et se répondent sont aussi l’antithèse d’une dérive qui aujourd’hui comme hier considère l’autre – voire même soi – selon des critères étriqués, qui mènent à la haine. La guerre est constitutive de l’écriture de Wajdi Mouawad, imprégnée de tragique, d’une conscience aigüe de la violence. En 1978, alors qu’il avait neuf ans, sa famille a dû fuir le Liban, pour Paris d’abord, puis pour Montréal, avant de revenir en France dans les années 2000. C’est cet exil imposé par la guerre civile qui est à l’origine de l’histoire, ou plutôt des histoires, car le personnage principal, Talyani Waqar Malik, emprunte ici une pluralité de trajectoires.

Une bouleversante équation, à multiples variables

Débutant le 4 août 2020, les situations initiales de chacun sont très diverses. En France Talyani est un chauffeur de taxi qui prend en charge un voyageur à Roissy. En Italie il est un neurochirurgien qui se paye une jeune prostituée dans une chambre d’hôtel. Au Québec il est un peintre qui s’apprête à inaugurer une exposition. Au Texas il est l’auteur d’un double meurtre qui attend son exécution dans les couloirs de la mort. Au Liban Talyani et les siens viennent de subir l’explosion du 4 août 2020. Ils sont en vie, mais tout est dévasté, dont son magasin de jeans. L’explosion qui ravage Beyrouth réactive de manière terrifiante la violence de la guerre, actant la défaillance effarante du pouvoir. C’est Wajdi Mouawad lui-même et Jérôme Kircher, dont le jeu aiguisé fait merveille, qui interprètent remarquablement les rôles de Talyani. Si physiquement leur apparence vise une gémellité, les différences entre ces Talyani sont saisissantes, et leurs histoires osent d’improbables télescopages. Avec eux, Jérémie Galiana, Raphael Weinstock, Norah Krief, Richard Thériault, Julie Julien, Jade Fortineau, Merwane Tajouiti, Maxime Le Gac Olanié, Madalina Constantin, Maïté Bufala, Delphine Gilquin, Anna Sanchez forment une superbe partition, reliée à un cours de physique où s’invitent poésie et métaphysique, sans oublier l’histoire d’Œdipe revisitée. Dans la belle scénographie d’Emmanuel Clolus, Wajdi Mouawad et les siens s’emparent brillamment de l’équation de la vie, faite de tant de paramètres et de liens, où la puissance et la vulnérabilité de l’enfance s’affirment, où la variable x de l’avenir, même alarmante, appelle l’action et l’espoir. Un spectacle bouleversant.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Racine Carrée du verbe être
du vendredi 30 septembre 2022 au vendredi 30 décembre 2022
La Colline - Théâtre national
15 rue Malte Brun, 75020 Paris.

Du 30 septembre au 18 décembre 2022, Partie 1 et 2 le mercredi à 19h30, Partie 3 le jeudi à 20h30, Intégrale vendredi 4 et 18 novembre, 2 et 16 décembre à 17h30, samedi à 16h, dimanche à 13h30. Relâche lundi, mardi. Du 21 au 30 décembre 2022, intégrale à 17h30. Relâche du 24 au 27 décembre. Tel : 01 44 62 52 52. www.colline.fr Durée de chaque partie : 1h40, entractes 30 minutes.

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