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Théâtre - Entretien

Quand le diable s’en mêle…

Quand le diable s’en mêle… - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de l’Aquarium
Didier Bezace Crédit photo : Brigitte Enguerand

Théâtre de l'Aquarium/D'Après trois pièces de Georges Feydeau.
Adaptation et mise en scène de Georges Feydeau

Publié le 30 août 2016 - N° 246

Didier Bezace met en scène trois pièces de Feydeau : un spectacle où la figure du diable sert de fil conducteur pour un théâtre de l’énergie, qui provoque un rire tonitruant et vengeur.

Pourquoi un tel titre à ce triptyque ?

 Didier Bezace : Parce que nous jouons ces trois pièces sous l’emblème d’un Feydeau diabolique qui se réincarne de pièce en pièce, et regarde les personnages jouer et se faire des scènes. Ce n’est pas un personnage ajouté ; il est là, noir sur blanc, dans le texte. Il est là pour nous amuser de ces personnages et jouer les perturbateurs, en servant de fil conducteur à ces trois bombes de rire.

Quel est le contenu de ces trois bombes ?

 D. B. : Feydeau nous raconte trois histoires qui appartiennent à la vie ordinaire des humains : je les lie entre elles selon la méthode du fondu enchaîné. Dans Léonie est en avance, une jeune femme attend un enfant ; dans Feu la mère de Madame, un mari rentre tard chez lui après avoir ripaillé ; dans On purge bébé, un père s’adonne à la vente lucrative de pots de chambre alors que son petit ne veut pas se laisser purger. C’est une humanité ordinaire que le diable vient tourmenter plus encore. Les personnages sont soumis à des antagonismes et pourtant, ils ne se quittent pas. L’adultère n’a pas sa place dans ces pièces, contrairement aux grands vaudevilles de Feydeau : les époux restent attachés l’un à l’autre. Et c’est parce qu’ils sont liés que naît l’impression qu’ils sont en enfer ; mais c’est un enfer rigolo.

 

Quel est le sens de ce diable récurrent ?

 D. B. : Ce personnage ressurgit sans cesse comme un clin d’œil poétique. Il n’y a pas d’idée philosophique, pas de méditation sur le mariage. Feydeau n’est pas là pour nous faire philosopher mais pour nous faire rire. Je construis mon rire sur des situations ordinaires. Le talent de Feydeau fait qu’elles deviennent épiques, et elles le deviennent encore plus si on les joue dans une cage de scène vide, débarrassée des portes qui claquent et des meubles et canapés de la bourgeoisie du XIXème. Il s’agit d’extraire Feydeau de sa sociologie pour le tirer vers l’universel. Nous avons tous quelque chose à voir avec ces situations, même si les choses se sont transformées dans nos existences depuis l’époque où écrit Feydeau.

 « Ce théâtre n’est pas fait pour qu’on en tire des leçons de sociologie : il est fait pour nous venger. »

Vous avez créé la pièce dans la cour du château de Grignan. Comment la verra-t-on aux Gémeaux ?

D. B. : A Grignan, il s’agissait d’interpréter Feydeau en plein air comme on joue un théâtre populaire, en retrouvant une tradition de foire et de tréteaux. Aux Gémeaux, on jouera dans une cage de scène nue, mais dans la même situation que celle du château de Grignan. Il y a un dispositif scénique qui paraît d’une simplicité enfantine, qui se transforme : à la fois un tréteau et un accessoire, bref, une machine à jouer.

Pourquoi ce refus de la sociologie ?

D. B. : On peut évidemment monter Feydeau de manière efficace et juste en choisissant de demeurer fidèle à son époque, ne serait-ce que grâce à ses didascalies très prolixes. Jouer selon les indications strictement observées est tout aussi passionnant, mais cela nous ramène à un regard sociologique, avec l’idée que ces gens sont autres que nous. Ici, ils sont au plus près de nous ; ce sont des anges déchus, ils sont ce qu’ont été Adam et Eve il y a bien longtemps. J’ai toujours considéré qu’il fallait aimer les personnages de Feydeau plutôt que les mépriser. Evidemment, les hommes ne sont pas très brillants et les femmes – superbes d’insolence – sont terriblement harcelantes. Mais encore une fois, ce théâtre n’est pas fait pour qu’on en tire des leçons de sociologie : il est fait pour nous venger.

De quoi nous venge-t-il ?

D. B. : Il nous venge de la vie, d’une certaine méchanceté, d’une médiocrité de la vie, d’une fatale coexistence entre les sexes. Dans son génie d’amuser le monde par des déboires intimes, il y a une forme d’humanisme, même si je n’en fais pas un étendard. C’est un théâtre de l’énergie. Feydeau, c’est un geste théâtral gratuit : d’ailleurs, ses pièces sont, à l’origine, les improvisations orales auxquelles il se livrait dans la chambre de l’Hôtel Terminus après avoir quitté le domicile conjugal. Je n’entends pas raconter quelque chose de plus sur Feydeau. Et même si derrière l’énergie comique, il y a quelque chose de profondément tragique, nous ne sommes pas là pour en décrire la noirceur mais pour nous en amuser. D’ailleurs, les spectateurs rient beaucoup, ça leur fait du bien. C’est un théâtre où l’énergie des acteurs se communique aux spectateurs et revient aux acteurs. En résumé, c’est un moment de rire vengeur qu’on partage avec le public.

Propos recueillis par Catherine Robert

 

A propos de l'événement

Quand le diable s’en mêle…
du vendredi 9 septembre 2016 au samedi 1 octobre 2016
Théâtre de l’Aquarium
Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris, France

Du 9 septembre au 1 octobre 2016 au Théâtre de l'Aquarium. Rens 0143749961

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