La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Donner du temps au temps

Donner du temps au temps - Critique sortie Théâtre Bobigny MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
Hortense Archambault

Publié le 30 août 2016 - N° 246

A la tête de la MC93, fermée pour travaux, Hortense Archambault prend le temps de découvrir son territoire et ses habitants. Avant réouverture, en mai 2017, la saison présente une programmation nomade, en partenariat avec différentes structures culturelles du département.

« Tout l’enjeu, c’est de contribuer à construire un universel qui se négocie. »

Comment êtes-vous arrivée à la MC93 ?

Hortense Archambault : Une fois terminée l’aventure au Festival d’Avignon, j’avais envie de diriger un endroit de création, une maison de production dans un lieu fixe. Et je voulais travailler dans un quartier dit populaire, car je crois que les enjeux du théâtre public y sont très forts aujourd’hui. Cette maison en banlieue parisienne correspondait à mes vœux, et mon projet a séduit les élus qui la financent.

Comment s’organise la MC93 jusqu’à sa réouverture ?

H. A. : Cette saison, la programmation est hors des murs de la MC93. J’ai souhaité que notre nomadisme s’organise en Seine-Saint-Denis, afin de rencontrer les autres institutions culturelles, en travaillant ensemble : le Centre National de la Danse, les trois CDN (de Saint-Denis, d’Aubervilliers et de Montreuil), les deux scènes conventionnées de Tremblay-en-France et de La Courneuve, l’Echangeur, le Fil de l’Eau, le Garde-Chasse, Canal 93, la salle Pablo-Neruda, les conservatoires de Bobigny et de Romainville. Et nous investissons la friche industrielle Babcock, à La Courneuve, qui a vocation à être un lieu culturel, et où nous présenterons trois spectacles.

Quelle sera la couleur de la programmation ?

H. A. : J’avais envie d’une première saison qui parle de notre temps, qui accueille des artistes aux esthétiques différentes, beaucoup de créations, et quelques grands noms de la scène internationale. M’intéresse la manière dont les artistes s’emparent du monde et de sa complexité, sans forcément l’expliquer mais en ouvrant des pistes pour cela. La MC93 garde une programmation internationale, avec des grandes personnalités des arts de la scène ; elle demeure particulièrement attentive aux contemporains, qui viennent ici parler d’ici. Nous accompagnons également des artistes français repérés, afin de les aider à mieux produire les spectacles qui confirment les promesses de leur émergence.

Qu’est-ce, d’après vous, que le théâtre public ?

H. A. : Il a la réputation d’être cher et élitiste. Or c’est un endroit dont on a vraiment besoin, où les gens se côtoient, discutent, où se mêlent les arts. Il est un moteur indispensable pour la société, mais il est évident qu’il faut se réinterroger sur la manière dont il fonctionne, et admettre qu’il ne saurait se réduire à la production. Comment allier l’élitaire – qui demeure une ambition – et l’égalitaire ? Je crois qu’il n’y a pas de recette, mais plein de gens qui font plein de choses différentes. C’est pour cela qu’il faut d’abord, je crois, commencer par connaître son territoire, et c’est un travail de longue haleine. A mon arrivée en août 2015, était déjà décidé qu’il n’y aurait pas de programmation au théâtre cette saison. Du fait des travaux, nous n’avons plus de lieu, mais nous sommes une équipe. J’ai alors lancé « la fabrique d’expériences », pour répertorier tout ce qu’on peut imaginer dans une maison de la culture, hors des spectacles programmés. Faciliter l’accès au théâtre est un pari qui suppose de multiplier toute une série d’actions.

Lesquelles ?

H. A. : Nous avons déjà fait beaucoup de choses. Les artistes intéressés par cette question ont commencé d’aller à la rencontre des habitants et d’interroger le territoire. Le rapport du spectateur à l’artiste est différent s’il rencontre une aventure artistique. Si cette rencontre n’a pas lieu, le public risque de continuer à croire qu’elle n’est pas pour lui. Nous avons été très bien accueillis ; nous avons trouvé beaucoup d’alliés, des enseignants, des personnes du champ social, etc. Les gens ont envie d’imaginaire et de beauté. Tout le monde peut avoir une émotion face à un spectacle, et cette émotion a une valeur équivalente à celle de son voisin, même si c’est évidemment plus facile d’en parler si on a fait des études. Nous avons aussi mis en œuvre une politique tarifaire qui invente une manière plus simple d’aller au théâtre, avec le « pass illimité MC93 », qui reprend l’idée du pass cinéma.

Comment comptez-vous réussir ?

H. A. : Il faut prendre du temps, respecter les gens, s’intéresser à eux. Nous avons par exemple constitué un comité des usages du hall, en rassemblant des lycéens, des éducateurs, des spectateurs parisiens, la bibliothécaire de la ville, pour définir un cahier des charges de cette maison rénovée. Il s’agit de mobiliser tous les alliées potentiels, en considérant que n’importe quel humain peut être heureux dans une salle de spectacle. Tout l’enjeu, c’est de contribuer à construire un universel qui se négocie, et le théâtre est un formidable endroit pour ça. Essayer est la seule chose qui m’intéresse. L’enjeu en vaut largement le risque. C’est à la fois très modeste et follement ambitieux. Et je crois que c’est en arrivant à impliquer les autres que ce qu’on entreprend réussit.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
9 Boulevard Lénine, 93000 Bobigny, France

Tél. : 01 41 60 72 72. Site : mc93.com

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