En quête d’idole
Une ado paumée sur la route, quelque part [...]
Avignon / 2013 - Entretien Marie-José Malis
Créé à l’occasion d’un stage avec les élèves du Conservatoire de Genève, Les Géants de la montagne est à la fois une étape de formation et l’occasion d’une réflexion sur l’art de l’acteur. A voir également, mis en scène par Marie-José Malis, Sicilia, dans le cadre du festival Contre Courant.
Comment le spectacle Les Géants de la montagne est-il né ?
Marie-José Malis : A l’occasion d’un stage avec les élèves du conservatoire de Genève, pour partager avec eux ma conception du jeu de l’acteur. Pirandello est un grand théoricien de l’acteur, qui a poussé très loin sa recherche aventureuse. On l’oublie trop souvent. En travaillant avec les élèves, je ne voulais pas procéder à une seule distribution. Il y a donc eu cinq distributions différentes, une par soir, afin que chacun puisse traverser un des grands rôles de la pièce. La pièce raconte l’histoire d’une troupe de théâtre en fin de course, la troupe de la comtesse. Cette troupe a perdu le sens de son travail et le lien avec le peuple. Elle arrive en Sicile et rencontre une communauté de « guignards » (des malchanceux) dirigée par un magicien et réfugiée dans la montagne. La pièce raconte la nuit que passe la troupe de la comtesse chez les guignards : entre les comédiens et les magiciens délaissés de la vie, s’engage une méditation sur la création. A cet art poétique dans lequel Pirandello réunit ses conceptions de l’art et de la réalité, est joint un prologue écrit par son fils et ajouté à cette pièce inachevée. Il y raconte la nuit d’agonie de son père et la manière dont il imaginait terminer cette pièce. Pirandello avait prévu l’arrivée de la troupe de théâtre chez les géants de la montagne, une autre communauté prise dans le labeur et la modernité industrielle. Les artistes jouent devant les géants, qui les massacrent parce qu’ils ne comprennent pas la pièce. Le peuple, que sa vie de labeur ne prépare pas à recevoir l’art, finit par détruire les artistes, trop méprisants et trop paternalistes. Cette pièce est dont l’ultime réflexion de Pirandello sur la nature de la réalité, mais aussi une pièce politique qui parle de la manière dont le théâtre doit s’adresser aux gens.
Dans quelle mesure cela rejoint-il votre conception du théâtre ?
M.-J. M. : Je pense que le théâtre doit être réflexif. Le théâtre doit se battre pour dire son caractère unique, et cela passe par l’art de l’acteur. J’essaie de mettre en place une théorie du jeu où l’acteur, en même temps qu’il joue les textes, essaie de les penser pour lui-même. Cela entraîne une théâtralité très douce, lente, précise, et très fraternelle, car adressée au public. Il ne s’agit pas d’un théâtre de performance fait pour impressionner, mais d’un théâtre fait pour partager. Jouer, c’est organiser pour soi une pensée, et en penser les répercussions sur sa propre vie.
Que raconte Sicilia, jouée un soir lors du festival ?
M.-J. M. : Un homme déprimé, indifférent aux atrocités qu’il voit se répandre autour de lui pendant la montée du fascisme, décide de traverser l’Italie pour retourner voir sa mère, en Sicile. Celle-ci lui remet les idées en place, et lui rappelle ce qu’est vivre en homme réel, dans un rapport frugal à la terre, à l’économie, en une belle leçon de dignité. Qu’est-ce qu’établir un rapport fort avec ce qui offense ou ce qui ennoblit le monde ?
Propos recueillis par Catherine Robert
Une ado paumée sur la route, quelque part [...]