Une Douce Imprudence
Est-ce si imprudent de se laisser glisser [...]
Avec Nicolas Bouchaud et Judith Henry, Nicolas Truong concocte un collage de textes philosophiques savoureux et savant : il donne corps aux idées et ranime les lucioles si chères à Pasolini…
Dans un célèbre article du 1er février 1975 paru dans Corriere della Sera, Pasolini se désespère du vide politique italien, qu’il rattache à un phénomène foudroyant, dû à la pollution de l’air et de l’eau : la disparition des lucioles. Symbole de la joie et du désir, lueur singulière au cœur de la nuit, illumination… réduite à néant : une très belle et très radicale métaphore du poète, effaré face à une humanité qu’il juge définitivement perdue et totalement asphyxiée par le pouvoir, pouvoir selon lui fasciste même s’il paraît, « en toute impudeur », formellement démocrate, et par les rouages modernes de la consommation. Dans la lignée de Survivance des Lucioles de Georges Didi-Huberman (Editions de Minuit, 2009), Nicolas Truong, journaliste, essayiste et responsable du Théâtre des Idées au Festival d’Avignon depuis 2004, « cherche à faire entrevoir ce que seraient de nouvelles « Lumières » contemporaines, loin du catastrophisme ou de l’aquoibonisme dans lequel s’est enferrée une large partie de la théorie critique postmoderne ». « Parce que l’art, la politique, l’amour et l’amitié peuvent, dans leur radicalité, encore réenchanter notre quotidien. »
Malicieux cadavre exquis
Au fil d’un collage malicieux et savant, Nicolas Truong donne corps aux idées et aux concepts qui joyeusement s’entremêlent et s’entrechoquent. Theodor W. Adorno, Giorgio Agamben, Walter Benjamin, Guy Debord, Gilles Deleuze, Jacques Rancière, Jaime Semprun et d’autres se font entendre. Pour que réellement la pensée s’éprouve avec spontanéité, pour que l’humour et l’émotion soient au rendez-vous, les acteurs s’inventent « personnages conceptuels ». Nicolas Bouchaud, immense comédien, peut en un détail faire sentir l’ironie d’un propos ou sa mélancolie : on est sûr avec lui que les idées vont vivre. Judith Henry lui donne la réplique. Né dans le cadre des Sujets à Vif l’an dernier, le projet est devenu spectacle. Un spectacle par définition… émancipateur. « L’esprit n’est pas une cire molle. C’est une substance réactive. » a dit « le philosophe masqué »* dans un entretien paru dans le journal Le Monde en avril 1980.
Agnès Santi
* Le Philosophe masqué est… Michel Foucault.
Est-ce si imprudent de se laisser glisser [...]