La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Port du casque obligatoire

Port du casque obligatoire - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Franck Beloncle Légende photo : Fred Cacheux met en scène un monde sans cœur à l’ouvrage.

Publié le 10 décembre 2007

Transposant les affres de l’intersubjectivité dans l’univers métaphorique d’un chantier de construction, Klara Vidic interroge le monde moderne et dénonce ses errements.

A l’instar de Michel Vinaver que son talent de poète entomologiste a hissé au rang de témoin privilégié de ce que le travail imprime aux relations entre les êtres, Klara Vidic a choisi un thème et une forme d’écriture qui rappellent assez précisément ceux du maître. Mais là où Vinaver réussit à croquer des types sans les déshumaniser, Klara Vidic fait le choix d’un formalisme asséché qui réduit ses personnages à des coquilles vides. Cette volonté d’épure n’est pas sans intérêt si on y voit le procès d’une époque qui épuise le sens de l’existence et transforme les travailleurs en automates. Mais elle a tendance à provoquer un sentiment d’étrangeté radicale qui, en interdisant toute forme d’empathie faute d’inscription psychologique suffisante, réduit les conditions réceptives à un rapport purement intellectuel aux situations décrites. Cela étant, si on accepte cette convention austère, force est de constater que le tableau clinique des rapports humains ici brossé est des plus terrifiants.
 
Le paradoxe de faire œuvre sur l’oubli de l’œuvre
 
Olga, la secrétaire au bord d’aimer, Brigitte, l’architecte planquant sa féminité sous une rugosité virile, Gramme, le directeur d’une entreprise familiale trop vieux pour résister aux assauts productivistes et aux exigences de rendement, Otton, dont le vocabulaire se réduit à quelques jurons, Ponthieu, le chef de groupe machiste, Pavel, le chef d’équipe venu de Pologne pour crever dans l’Eldorado occidental, écrasé sous ses fausses promesses, Braque, le promoteur condamné à répéter les ordres reçus de ses clients américains : tous sont marqués au sceau de la défaillance langagière et de l’inaptitude intersubjective. Ils se croisent sans jamais vraiment réussir à se rencontrer sur le vaste plateau semblable à un océan d’incompréhension sur lequel sont posés comme des récifs les meubles du bureau du chantier. La mise en scène de Fred Cacheux accentue l’ivresse mécanique des personnages et les comédiens, tout en saccades, en accélérations et en brutalité, indiquent physiquement la souplesse et la détente qui manquent à des esprits obnubilés par l’urgence de construire un absurde palace à peine édifié qu’il est à défaire. Le jeu et la mise en scène, à cet égard très cohérents avec l’esprit du texte, font naître l’impression d’une humanité robotisée, sans chair, sans espoir et sans goût ni souci de faire œuvre de soi. Les limites de ce spectacle tiennent alors davantage à son fond qu’à sa forme et puisque ce fond est celui de notre modernité, l’intérêt de la démonstration de son inanité revient alors en boomerang dans la figure du spectateur et le force à interroger son propre rapport aux choses. « Je rêve d’être celle qui provoque la liberté », dit Klara Vidic : en cela, on peut considérer qu’elle atteint son but.
 
Catherine Robert


Port du casque obligatoire, de Klara Vidic ; mise en scène de Fred Cacheux. Du 30 novembre au 28 décembre 2007. Du mardi au samedi à 20h30 ; le dimanche à 16h ; séances supplémentaires les samedis 8, 15 et 22 décembre à 16h ; relâches les lundis, le 2, le 4 et le 25 décembre. Théâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie, route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris. Réservations au 01 43 74 99 61.

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre