Phèdre
Peut-être parce qu’elle porte plus que tout autre la représentation archétypale de la passion amoureuse destructrice, Phèdre s’est taillé la part belle parmi les oeuvres de Racine. La version de la Compagnie du Théâtre du conte amer tend à malmener la tragédie.
Question d’interprétation avant tout. On a beaucoup vanté la beauté du vers racinien. Quelques alexandrins de Phèdre nourrissent la mémoire collective du théâtre. « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue, », « Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire. » y brillent comme des joyaux à la longévité adamantine. Las, comme dirait Racine, les choix d’interprétation des metteurs en scène et acteurs, Ophélia Teillaud et Marc Zammit, ne relaient pas l’éclat du texte. Non pas qu’une certaine liberté dans le traitement de l’alexandrin nuise à ce Phèdre. Au contraire, la diction ne se plie pas toujours aux canons académiques du respect de la versification et offre au phrasé des comédiens une certaine forme de naturel. Cependant, des situations bien souvent surjouées et une interprétation trop extérieure donnent les signes des émotions des personnages bien davantage qu’elles ne les véhiculent. Dans ce registre, les convulsions et râles de Phèdre surlignent à l’envi l’origine surnaturelle et le caractère dévorant de la passion qui l’habite. A l’inverse, le personnage d’Hyppolite peine bien, dans les à-coups d’un jeu brouillon, à se dessiner une figure précise.
La simplicité d’Aricie tranche nettement
Dans une scénographie dépouillée de tout accessoire où l’éclairage majoritairement en douches découpe le plateau en rectangles qui isolent des personnages se déplaçant comme des pions sur un échiquier – comme s’ils étaient les jouets des Dieux ? -, le texte de Racine, complexe parce que chargé de toute la mythologie originelle de l’histoire, ne gagne rien à des déplacements chorégraphiés qui paraissent le plus souvent artificiels. Dans cette agitation bien souvent déroutante, la simplicité d’Aricie tranche nettement. Tout en finesse et en retenue, Mona El Yafi interprète avec une profondeur émouvante l’amoureuse d’Hyppolite qu’elle campe en une princesse exilée farouche et droite. A partir du récit de Théramène qui rapporte à Thésée la mort de son fils, célèbre tour de force d’une grande efficacité, le spectacle reprend de la fluidité. Jusqu’à l’épilogue, l’implacable destin scelle le sort des personnages avec moins d’afféterie, esquissant une trajectoire qu’on aurait aimé lui voir suivre depuis le début. Les affres de la passion, la féroce cruauté des Dieux, le combat de la raison en quête de vérité n’en auraient été que mieux portés.
Eric Demey
Phèdre de Racine, mise en scène d’Ophélia Teillaud et Marc Zammit. Du 12 janvier au 25 février au théâtre Mouffetard, 73 rue Mouffetard, Paris 5ème. Tél : 01 43 31 11 99.